Les Descendants de l'Ombre
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Message par Louve Mar 22 Mar - 12:14

Chapitre 1 :
Le Sphinx
Je suis né quelque part du côté de la chine, je crois. Enfin, quand je dis né, … Mais on verra ça plus tard. A peine arrivé dans cette vie, j'ai compris qu'on ne me ferait aucun cadeau. Personne ne serai là pour me mâcher le travail, et je devrai apprendre par moi-même. Rien de bien surprenant, des orphelins, il en existe partout, et la plupart d'entre eux s'en sortent très bien. Tel ne fut pas mon cas. Du moins jusqu'à ce que j'ai acquis une certaine maturité.
Avec mes yeux inexpérimentés, je regardais le monde, et ce que je voyais ne me plaisait pas, je dois l'avouer. Autour de moi la misère, la violence, la faim. Naître au beau milieu d'un bidonville asiatique ça ne facilite pas l'insertion sociale, apparemment. Néanmoins, je suis loin du type asiatique. Ma peau est blanche et crémeuse, ma carrure assez large sans être imposante. Vous avez déjà pu remarquer mes yeux, je pense. J'ai fait exprès de ne pas mettre de lunettes de soleil, pour que vous puissiez voir au plus profond de moi. Ne dit-on pas que les yeux sont les fenêtres de l'âme?
Oui, ils sont étranges. L'un est jaune d'or, l'autre violet profond. D'où puis-je tenir un regard pareil? C'est la même question que je me suis longtemps posé, avant de trouver la réponse : quelle importance? Est-ce là d'où je viens qui fait de moi ce que je suis? Où sont-ce mes actes et ma façon de vivre? J'ai depuis longtemps opté pour la seconde solution. Et je ne m'en porte pas plus mal. Enfin…
Pour revenir à cette "enfance" passée dans la crasse de ce monde, je crains n'en avoir gardé que très peu de souvenirs. Peut-être ma mémoire, par charité, a-t-elle décidé d'en effacer une bonne part. Ou peut-être que c'est le fonctionnement normal de l'esprit: oublier ce qui lui a fait honte.

CHAPITRE 2

La voix de Black Jack a résonné dans ma tête.
- Alors, t'es en place, le Sphinx?
- Tu parles. Ça fait trois plombes que je t'attends, gros lard.
- Désolé, mais ta sœur voulait plus me lâcher… Maintenant qu'elle sait ce que c'est qu'un vrai mec, tu comprends, elle s'accroche…
- Dans tes rêves, pédale!
- Allons, soit gentil avec tonton Jack p'tit morveux. Dis-moi que tout va bien.
- Affirmatif. Je vois que dalle. Que des ruines, comme d'habitude. Je peux savoir ce qu'on vient foutre ici?
- Ca, j'aurais espéré que tu me le dises, mon chou. C'est toi le boss, non?

Je me suis carré dans un creux de mur éboulé, et j'ai soupiré. Ouais, c'était moi le boss. Et c'était pas franchement rassurant, de mon point de vue.
Je me retrouvais paumé au beau milieu des décombres, en surface. La nuit serait bientôt là, et le soleil couchant caché par des nuages lourds aux nuances verdâtres dues aux radiations baignait l'atmosphère d'une clarté fantomatique. Partout autour de nous, des ruines. Des gravas, des monceaux de béton, de fer, d'asphalte éboulé. Le chaos. Le tout recouvert d'herbes folles, de lierre grimpant. Le lichen et la mousse recouvraient les décombres. Lentement, la terre engloutissait les vestiges du passé.
Les rares bâtiments reconnaissables avaient été si souvent pillés, squattés, incendiés que je n'osais même pas y faire un pas. Tout risquait, au moindre souffle de vent, de partir en poussière. Les ruines de ce temps révolu, ce temps ou l'homme se croyait encore l'espèce dominante de ce monde. Des inscriptions effacées sur des murs éboulés dessinaient des fresques dans l'obscurité grandissante, à demi rongées par la végétation. Les rats, renards, corbeaux et autres nouvelles espèces de charognards qui survivaient ici nous fuyaient. Pas un seul insecte, dans l'air du soir. Ils ont presque tous disparu, ici au nord, avec les radiations. Les seuls à avoir survécu sont les parasites. Les puces, poux, morpions prolifèrent.
Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais j'aimerais qu'une nuée de moustique vienne m'assaillir. Cela serait une preuve que notre écosystème n'est pas si moribond qu'il en a l'air.

Je me trouvais en périphérie d'une grande ville entièrement contrôlée par les Temsés, avec pour seule compagnie mon arme et la Bidule Team.
Ce nom de foire était le résultat d'une soirée de beuverie où Tronchard s'était écrié, déjà sérieusement imbibé:
"Et pis d'abord, si eux y sont des Trucs Machins Choses, pourquoi nous on s'rai pas les Bidules, hein?"
"Allez, aux Bidules contre les Trucs!!!" Avait-il beuglé en levant son verre presque vide. "Et que le meilleur gagne!!!"
La profondeur de notre dérision et de notre cynisme était telle que nous adoptâmes pour de bon ce nom de pacotille. La Bidule Team. La B-Team.
Encore une des missions très spéciales de Kaypel. Il avait le chic pour me dénicher toujours la perle rare. Le truc infaisable à faire absolument, sous peine de destruction de l'Humanité.
Bientôt trois ans que j'avais atterri dans ce monde de merde. C'était toujours la même routine. Je me levais le matin, m'habillais, allais faire quelques exercices de maintenance bio-tech et me présentais à la porte de Kaypel et Cämye.
Quand je dis que je faisais mes exercices tous les matins…n'en rajoutons pas. Depuis que j'avais perdu mon foutu bras gauche, on m'avait greffé une sorte de bras-canon informatique, relié à mon réseau sensoriel par des procédés que je n'ai jamais cherché à connaître. Ce qui demandait de la maintenance, c'était surtout les circuits bio-electroniques. Une gymnastique régulière évitait les blocages intempestifs au moment ou vous aviez le plus besoin de votre bras.
Huit mois plus tôt Kaypel nous avaient envoyés, Cämye et moi, sur une mission tellement secrète que je ne prendrais par la responsabilité de vous la raconter, même à aujourd'hui. Mais en gros l'infiltration très très discrète d'une base de recherches militaires ennemies en faisait partie. Et chacun sait que les Chiens ont des dents. Acérées. En tout, cas, si j'en étais pas sûr, j'en ai eu la confirmation. Il m'a fallu quelques instants avant de réaliser. Aucune sensation de douleur ne m'a déchiré. Jusqu'à ce que je baisse les yeux sur ce qui restait de ma chemise.
Cämye m'a dit que pendant qu'elle me portait sur son dos pour me sauver, je l'injuriait et lui ordonnait de me laisser sur place pour qu'elle se sauve. Je ne m'en rappelle pas. Mes seuls souvenirs datent de deux heures plus tard, dans l'abri qu'elle avait trouvé, au moment où elle me plongea dans une transe chamanique afin de pouvoir mieux opérer la guérison astrale.
Eh oui, nonobstant toutes leurs capacités et leurs pouvoirs, pour les magiciens la médecine, le soin physique en lui-même reste inaccessible. Le drain d'énergie nécessaire à la création de nouvelles cellules aussi rapidement est trop fort pour l'organisme. Il ne le supporte pas. Les patients soignés de cette manière sont presque tous morts, complètement vidé de leur force vitale en quelques secondes.
Les seuls résultats concluants ont été donnés par les chamans et les druides, qui tirent leur puissance magique de la Terre elle-même. Ça ne fait que cicatriser, principalement. Mais pas de repousse des membres. Y'a que dans les films qu'on voit ça.

Une autre nouveauté: Les gars, à cause de mes yeux étranges qui les mettent mal à l'aise quand je les fixe, m'ont surnommé le Sphinx. Ça fait râler notre sorcier en chef. Lui, ils l'ont surnommé Tronchard. Parce qu'il saute tout ce qui bouge. Même ce qui bouge pas, des fois, notez. Mais il a beau grogner, ça le fait plutôt marrer de voir qu'on l'appelle le "3T". Tronchard le Tueur de Temsés. Ça le rend tout fier.
A part lui, y'a Black Jack, notre gros artilleur. Cyber-modifié de partout. Y'a plus grand-chose qui soit de naissance chez lui, à part peut-être la gentillesse. Taillé comme Rambo, un humour de soldat graveleux, sa meilleure amie s'appelle Bertha, et il fond en larme devant les films romantiques. Tssss. Si ça vient à se savoir, notre unité deviendra la risée de Kehl.
Après lui vient Benji. Ainsi surnommé à cause d'un film à la con que j'ai vu au hasard du câble du 21ème siècle, avec ce clébard intelligent comme tout. Benji-la-malice. Je l'ai appelé comme ça une fois, puis c'est resté. Le mec le plus futé que j'ai jamais vu. Capable d'analyser la situation dans son ensemble en une minute, de trouver la solution en deux et de l'appliquer en cinq. Sa vivacité d'esprit nous avait bien souvent sauvé les miches.
Nous quatre, Tronchard, Benji, le Jack et moi, on est la vieille équipe. Deux ans qu'on tient. Les autres sont arrivés après, soit pour remplacer des décès, soit pour compléter l'équipe.
Par exemple y'a Foutredieu. C'est le toubib. Il n'arrête pas de sortir cette insulte moyenâgeuse à tout bout de champ. On l'adore. Il est complètement incompétent quand il s'agit de se battre, mais c'est le meilleur des docs, farfelu au possible. Il peu aussi bien te prescrire une boîte de médocs qu'une bonne biture, du moment qu'il la partage avec toi. Mais on n'a jamais perdu un homme par sa faute. Au contraire.
On a aussi notre sniper en chef, le seul homme capable de vraiment faire un trou dans une pièce quand tu la lances en l'air. Quand on l'a vu tirer, on l'a appelé Shooter. Ça l'a fait marrer. Il a adopté.
Puis, plus récemment, Kaypel nous a attribué une nana. Quand on a commencé à râler, il nous a dit qu'on allait l'adorer. Quand ça a commencé à chauffer, elle est devenue la mascotte de la bande. Notre Yoko. Elle n'est pas bien grande, menue, avec le teint fragile d'une poupée de porcelaine. Une petite geisha. La mort en marche. Son corps entier a été remodelé par les chirurgico-mages de Kehl. Sa musculature, ses capacités sanguines et respiratoires, sa vitesse, sa résistance au froid, à la douleur, tout ça a été multiplié par dix. Effrayante, c'est un adjectif qui la décrit bien.
Trois fois sur cinq, Cämye nous accompagne, pour la magie d'appoint. Tronchard est surtout doué pour les sorts offensifs. Les sortilèges de protection le laissent pantois. Pour quoi faire, d'après lui? Et dès qu'il faut transférer, c'est une catastrophe. Benji a failli y laisser une jambe et demie, une fois.
Puis on a notre Tarin, qu'on baptise Médor, ou Kiki à l'occasion.
Je suis revenu à mes moutons quand j'ai senti un appel venant du circuit très fermé que nous utilisions pour ce genre de balades.
- J'écoute.
- Sphinx, c'est Kaypel.
- Salut grand sachem. Dis-nous tout.
Il m'a tout dit. J'ai pas aimé ce qu'impliquait le message. Et mes gars non plus n'allaient pas apprécier.
Louve
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Message par Louve Mar 22 Mar - 12:20

La nuit était tombée depuis une heure. Dans ma sombre cachette où je me tenais, immobile, à l'affût, je cru entendre des choses. Ce n'était pas rare, la nuit, de distinguer le son d'un râle, d'un grognement ou d'un murmure. La légende urbaine voulait que les nombreux fantômes arrachés du passé reviennent pour nous hanter en même temps que les Temsés. Des conneries tout ça. Tous ces bruits s'expliquaient de manière bien plus simple: Les vents radioactifs qui balayaient le monde faisaient cliqueter les os des squelettes. Les villes en ruine, comme celle ou je me trouvais, contenaient plus que leur part d'objets volants au vent.
Je me trouvais sur le plus haut bâtiment qui restait d'un patelin sans âge dont l'homme avait oublié le nom. Un peu plus bas, à ma droite, Tronchard maugréait dans sa barbe. Il râlait contre le froid, la nuit, et la putain de bouteille qu'il avait laissé dans l'AG. Tronchard râlait tout le temps, de toute façon. Pas demain la veille que ça changerait.
Deux cent mètres plus bas, dans une ancienne pharmacie au bord de la route, Jack chantonnait. Il fredonnait tout bas:

"Les Temsés, sont des salauds
Et on va tous les tuer-er
Les Temsés sont des salauds
Et J'vais les exploser-er

Maman,
Quand on te voit, Maman,
Pour eux c'est la terreur!
Quand on te voit, Maman,
Pour nous c'est le bonheur!

Poilu, cornu, griffu
Ou n'importe comment
Ils vont l'avoir dans l'cul
Quand J'vais appeler Maman!

Maman,
Quand on te voit, Maman,
Pour eux c'est la terreur!
Quand on te voit, Maman,
Pour nous c'est le bonheur!

T'es belle comme la victoire
Rutilante d'espoir
Quand l'ombre de tes ailes
Plane sur la bataille

Maman,
Quand on te voit Maman,
Pour nous c'est le bonheur!
Et oui pour nous, Maman,
C'est toi notre Grande Sœur!"


Ah, oui. Maman. La créature la plus étrange de la Terre. Une espèce de mutant de la dernière génération. Elle avait été trouvée dans les décombres d'un complexe militaire russe lors de l'Extermination. Elle était sans âge, et nul ne savait si elle mourrait un jour. C'était une femelle, c'était la seule chose dont on fut sûrs. Sa seule ressemblance avec les Temsés, c'était son côté reptilien, écailleux.
Unique en son genre, intelligente, Maman communiquait avec nous. Nous la comprenions. Elle nous aidait, lors des gros combats, par pur altruisme pensions-nous. Sa puissance de destruction représentait 50% de notre force de frappe.
Parfois, elle refusait de combattre. Elle ne voulait tuer aucun enfant. Qu'il soit Temsé ou humain. Elle refusait d'attaquer les villes. Seules les batailles rangées lui agréaient. Mais en ces occasions, l'humanité était sûre de l'emporter.
Cependant, en tant que personne à part entière, avec ses opinions, elle refusait de faire la guerre sans motif. Elles nous avait empêché de disparaître, mais ne voulait pas être responsable du génocide des Temsés, et estimait que nous aurions dû arrêter la guerre, les uns comme les autres, depuis longtemps.
C'est donc rarement qu'elle nous aidait, mais ses éclats passés effrayaient encore les Temsés.
Les savants refusaient d'admettre la vérité. Ils l'appelèrent Maman. Ils l'étudièrent, lui parlèrent. Mais jamais ils n'ont voulu reconnaître que Maman, depuis plusieurs centaines d'années et jusqu'à ce jour, était la seule et unique représentante d'une race qu'on avait toujours, de mémoire d'hommes, appelée "Dragons".

Et cela nous effrayait tous. Voir la magie tous les jours, en un sens, c'était normal. Si le cerveau humain était capable de télékinésie, pourquoi pas de plus grandes choses en cas de mutation? Pourquoi pas de magie? Mais un dragon?
Maman elle-même prétendait ne pas se souvenir de sa naissance. Elle se rappelait des bribes de sa croissance sous terre, là où nous l'avions trouvée. Mais ses seuls souvenirs nets dataient de ce jour.
Maman ne se nourrissait pas, à proprement parler. Jamais elle n'ingérait quoi que ce soit, et sa gueule béante servait uniquement à cracher le feu destructeur. Elle nous disait qu'elle se nourrissait des impuretés qui parcouraient le mana.
Le mana est l'énergie spirituelle et vitale de la Terre, Gaïa, selon les magiciens, sorciers, druides et chamans. Je sais, je sais, moi aussi j'ai eu du mal à le croire au début. Mais devants les preuves que l'on m'a montré, j'ai dû reconnaître que les lignes de mana étaient bien réelles.
Maman pensait que sa race, suivant ses propres conclusions, avait éclos afin de purifier une planète affaiblie par des guerres incessantes depuis de trop nombreuses années. Mais Maman reconnaissait volontiers qu'aucun fait ne venait étayer son hypothèse. Et elle était affligée de ne toujours pas avoir découvert de mâle de son espèce, afin de procréer.
Nous ne pouvions lui en vouloir, mais l'idée était effrayante. Cependant, elle refusait de croire que la Nature faisait mal les choses. Elle attendait. Depuis trois cent ans, et elle avait tout son temps.

Tandis que j'entendais Jack chantonner cette chanson bien connue de tous les Résistants, Yoko vint me trouver dans ma planque et, d'un signe de tête, me désigna Tronchard qui continuait de râler.
- Qu'est-ce qu'il a, le sorcier de pacotille?
- Allons, Yoko, c'est pas gentil, répondis-je tandis que résonnait sur le circuit fermé la voix aigre de Tronchard qui disait :
- Je t'encule, petite salope modifiée. Viens voir si ma braguette magique est de pacotille, elle aussi.
Elle éclata de rire et répondit:
- Un jour, promis, mon gros… dès que tu auras pris un bain.
- Ca, ma chérie, même pour toi je le subirais pas!
Benji poussa un soupir. Ces deux là se chamaillaient tout le temps.
Le circuit que nous utilisions passait par les puces radios implantées dans nos dents, et chacun entendait les autres directement dans sa tête via la connexion magique à la Matrice. Aucune conversation ne pouvait être privée, pas à moins de se déconnecter. Ce qu'on ne faisait qu'en cas de grave danger.
Foutredieu reniflait les décombres d'un distributeur pharmaceutique, rongé par la rouille. Ces engins avaient été mis en place pour remplacer les pharmacies, lors de la réorganisation après l'épidémie de VAS6. Ils distribuaient en échange d'argent les médicaments que vous prescrivait votre médecin. Il suffisait de glisser l'ordonnance électronique dans la fente, votre carte bancaire dans l'autre, et attendre qu'on vous donne vos aspirines ou votre sirop.
Le doc espérait récupérer des boites de sparadrap pas trop bouffés par les vers et les rats, des pansements et autre. Pas qu'on ne soit pas approvisionnés, mais il avait une sainte horreur du gaspillage. Pour lui c'était le signe de notre stupidité passée. Nous produisions plus que nécessaire, gâchions, jetions. Nous affaiblissions nos ressources naturelles alors qu'elles auraient largement suffit à nous nourrir.
Nous n'avions pas vraiment l'âme d'écologistes, mais Foutredieu, au bout d'un an, avait réussi à nous inculquer certaines notions d'anti-pollution.
Tronchard interrompit mes rêveries.
- Sphinx, j'aimerais bien que cette greluche arrête de me prendre la tête.
- Oh, regardez le grand sorcier, le grand "3T" qui court pleurer dans les jupes de Papa! Yoko avait un air narquois.
- Sphinx, si tu me donnes pas l'autorisation de la cramer, je la prends moi-même! Me menaça Tronchard d'un ton véhément. Alors que Benji commençais à râler que nous saturions la ligne avec nos conneries, je les coupais brusquement en recevant dans mon crâne le signal de Kaypel.
- Ca suffit les enfants. Ça va être l'heure. En place!

Selon les plans qui dataient de l'époque où la ville était encore entière et sous le contrôle des humains, une bouche de glisseur devait se trouver pas loin. Les glisseurs avaient remplacé les métros et les tramways vers les années 2200. Ces sortes de bulles de plastique fermées, qui se déplaçaient sur coussins d'air, étaient dix fois plus rapides et plus sûres que mon bon vieux métro. Le gouvernement de l'époque avait décidé de remettre en service les réseaux de métros désaffectés. Un chantier gigantesque et inutile s'en était suivi. L'humanité était encore bien confiante dans ses chances contre les Temsés, à ce moment-ci. La suite avait prouvé leur erreur. Les Français avaient investi beaucoup dans ce projet, au lieu de faire passer le budget pour les systèmes de défense, les armes, les payes des soldats.
Quand ce qu'ils avaient baptisé l'Armée Gluante avait dévasté l'Ukraine, l'Autriche et L'Allemagne dans sa progression vers les côtes Atlantiques, le président Français et le premier ministre Anglais avaient réalisé leur erreur…mais trop tard. La Suisse avait résisté à peine quelques semaines de plus, malgré toutes ses belles frontières. Mais la marée des Temsés qui déferlaient sans cesse vainquit toute résistance sur le continent européen. Du moins en surface.
L'humanité, ou du moins ses survivants, se réfugia dans ces réseaux de Glisseurs et continua la lutte. L'histoire nous racontait la suite…
Idiot, non? On aurait pu croire qu'en 2546, les avancées technologiques auraient dû être spectaculaires, qu'on aurai dû éradiquer le gras, la famine et la calvitie, et habiter dans les bulles de verres recouverts de vêtement couleur aluminium...
Mais ce conflit larvé, cette guerre qui durait depuis plus de 500 ans avait freiné, sinon stoppé, les recherches scientifiques qui ne concernaient pas la survie immédiate. Nous avions des armes dont je n'aurais jamais osé rêver durant ma jeunesse. Des flingues qui, magiquement améliorés, tiraient des rayons paralysants, des boules de feu magiques, des ombres étrangleuses. Mais à par la culture hydroponique, rien de concret n’avait été fait pour le confort des hommes. Les rares personnes qui avaient la chance de cultiver la terre en surface se servaient de l’antique système du bœuf (ou d’un cousin mutant aux même caractéristiques) et de la charrue. Certes, c’est un système écologique qui a fait ses preuves. Mais la technologie moderne étant principalement non polluante, cela aurait permis des semences et donc des récoltes plus rapides, plus fréquentes. Avec tant de bouches à nourrir et si peu de terres arables, l’humanité trouvait encore moyen de faire passer la quasi-totalité du budget dans les recherches en communication, ou en bio améliorations. Mon bras, par exemple, à la pointe de la technologie (Kaypel avait insisté pour m’offrir ce qui ce faisait de mieux, même si j’avais refusé la plupart des options) me servait de connexion directe à la Matrice, malgré que je me sois insurgé.
Au niveau Magico-Technologique, une sorte de "Virtunivers" avait vu le jour cent dix ans auparavant. En couplant l'internet avec les mondes dimensionnels de la magie, Ils avaient créé ce qu'ils appelaient la Matrice, en référence à un certain film du vingtième siècle que vous devez connaître.
Pourtant cette Matrice-ci se régentait très différemment. Une intelligence artificielle qui avait la capacité de prendre des décisions par elle-même. Nul ne devait sous-estimer les dangers de la Matrice. En quelque sorte, se connecter à la Matrice, c'était pénétrer par téléportation mentale dans la plus gigantesque et étrange créature jamais créée. Douée de vie et d'une volonté propre, la créature se déplaçait dans l'Univers que les Magiciens avaient créé pour elle. Elle était cet univers. La Matrice. Ce qui vous y arrive est réel. Vous y visualisez tout simplement un autre monde, dont les contours changent à mesure que vous progressez dans l'intelligence informatique. Si vous allez vers les fichiers concernant la surveillance d'untel (et que vous avez le mot de passe, hein, bien sûr, sinon bonjour le steak tartare), vous pourrez voir autour de vous des milliers de caméras magiques, des yeux invisibles, des coupes de clairevision, ou ce que vous voudrez. De toute façon je ne comprends rien à la Matrice. Et je refuse de m'en approcher. Trop de gens y sont restés coincés, attirés par quelques sirènes. Ou les neurones grillés par les anticorps informatiques, en tentant de hacker un système… Je n'approuve pas son existence, même si je dois reconnaître qu'elle rend bien des services. Je ne la comprends pas, et plus je me suis renseigné, moins j'ai compris le pourquoi du comment. Je n'aime pas cette entité. Elle me met mal à l'aise, encore aujourd'hui.
Je pouvais également, grâce à un mot de passe saisi sur le clavier bionique intégré à mon bras, me couper de toute connexion autre que notre circuit fermé. La main semblait réelle. Dans un souci d'esthétique, on avait recouvert de peau synthétique le plus de surface possible.
Croyez-le ou non, l'homme avait bel et bien mis au point ces fameux pistolets lasers dont nous rabattaient les oreilles tous les auteurs de SF. J'en suis équipé, ainsi que la plupart des combattants. Mais depuis les AG et les Coquilles, ces œufs transparents entre bio-tech et magie qui vous transfèrent d'un point préétabli à un autre, l'homme n'avait pas inventé grand-chose en matière d'objets courants, de véhicules ou de gadgets. Si, les tablettes multi-nutritives. Y'a vraiment pas de quoi être fier.
Mais revenons à nos moutons.

Nous cherchions donc cette bouche de glisseur, et ne la trouvions pas. De toute façon nous avions peu d'espoir dès le début. On devrait se cacher autrement. Si Kaypel était dans le vrai, et malheureusement ce salaud l'était souvent, nous allions recevoir sous peu la visite d'un petit groupe de Temsés. Et, si mes oreilles fonctionnaient encore, et ces salopes marchaient bien, il voulait ni plus ni moins que nous capturions l'un d'entre eux. Cerise sur le gâteau, le Temsé à capturer se trouvait être le fils aîné du président, un lézard nommé Hur'rlug (ou un truc dans le genre, d'après les conversations radios ennemies que nous avions captées.), le Temsé le plus important du pays qu'ils avaient appelé "R'nia", et qui avait été la moitié méditerranéenne de la France.
Il habitait ce qui avait autrefois été la ville de Lyon, et qui s'appelait Fregnel. La Capitale de R'nia.
Selon le familier magique de Cämye, le jeune Sran avait prévu de sortir de l'enceinte de la ville ce soir même, accompagné d'une très très légère escorte. Il voulait impressionner une fille. Trivial, n'est-ce pas, quand deux races luttent à mort l'une contre l'autre depuis des générations entières… Mais peut-être que la beauté de la jeunesse, c'est son insouciance. Non?
Toujours est-il que ce jeune Temsé d'à peine vingt-cinq ans risquait de regretter d'avoir voulu faire rougir sa belle. Il ne serait pas le premier otage politiquement important, mais sans doute pas le dernier non plus. Pourquoi lui, ça je ne le savais pas. Mais j'étais payé pour faire mon boulot. J'allais le faire.
Je disposai mes hommes de façon stratégique.
Foutredieu nous attendrai dans l'AG en cas de pépin, et Yoko en réserve couvrirai nos arrières, au cas où Sran rapplique par un autre côté que prévu. Nous voulions les laisser venir, qu'ils aient le temps de se sentir en confiance. Aucun doute qu'un Nez serait de la partie, nous avions donc emmené Médor, qui accompagnerait Tronchard. Son rôle à lui était de créer autour de nous une sphère de Silence. Et, si un truc tournait mal, de tous les éclater à coup de sortilèges. Mais la discrétion était notre credo, et Tronchard pas assez discret. Il avait reçu l'ordre formel de ne rien faire, sauf en cas d'extrême urgence. Mais je me méfiais de son estimation personnelle du cas d'urgence.
Selon nos informations, un Chien les accompagnerai. Sale bête. C'était l'une d'entre elles qui m'avait pris mon bras, un jour. Et depuis, j'en ai honte, je ne pouvais les approcher.
Moi qui me vantais tant de mon impassibilité, de mon sang-froid, de ma hardiesse… je devenais blanc et transpirant à la vue d'une seule de ces bestioles.
Elles sont plus proches du lion que du chien, à proprement parler. Mais les Temsés les ont nommées comme ça, alors… Pourquoi pas, après tout?
Leur peau rocailleuse est dure comme du bois. Ils se déplacent à quatre pattes, et ne sont pas particulièrement rapides, pas plus que les chiens que j'ai connus de mon temps. Leur seule et unique arme, ce sont leurs dents. Des dents longues comme des coutelas, effilées, qui sortent de leur gueule immense. Elles sont disposées comme les dents d'un requin, et ont les mêmes particularités.
Je plaçais donc Black Jack à l'avant-garde avec pour mission de descendre le Chien dès que Shooter, placé en hauteur, aurait descendu les gardes du corps. Pendant ce temps Tronchard empêcherait les autres de s'enfuir avec une barrière magique.
Yoko s'occuperait ensuite de cueillir Sran sans le descendre. Elle seule pouvait le faire. Elle était la seule qui puisse le battre à la course, et lui résister au corps à corps. Kaypel avait prohibé les fléchettes paralysantes pour cette mission, allez savoir pourquoi? Peut-être pour ne pas avoir à attendre 12 heures avant de l'interroger… Quand à Tronchard, il ne pouvait à la fois maintenir un champ de force, une bulle de silence et paralyser Sran.
Pendant ce temps, Benji et moi nous nous faufilerions jusqu'à l'Aero Glisseur qu'ils auraient laissé derrière eux et neutraliserions les gardes. Benji tenterait de pirater les données de l'ordinateur de bord, et nous récupérerions tout le matériel possible, AG compris si nous étions sûr qu'il n'y avait pas d'émetteur à son bord.
Notre génie en profiterait pour envoyer à Hur'rlug un message, pour lui dire ou était passé son fils, et ce qu'il devait faire pour le revoir vivant.
La Routine, quoi.


- Sphinx, y'a un truc qui cloche.
La voix de Tronchard dans ma tête me fit stopper net ma lente progression vers les AG. Benji derrière moi s'arrêta aussi.
- Qu'est-ce qui ce passe, bordel? Murmurais-je. Ce n'était pas le moment. A trois mètres à peine se dressaient quatre gardes du corps Temsés. Leurs baudriers de cuir noirs recouverts de pistolets lasers et leurs modifications bio-tech ne me donnaient aucune envie d'être repéré tout de suite, sans plan d'attaque.
- C'est Sran. Il est pas normal.
- Développe, merde! Grogna Shooter.
- C'est pas lui.
- Quoi?!
- C'est pas lui, je te dis. Celui-là il a pas 25 ans, mais bien quarante. Il est couvert de cicatrices, et y'a un tissu qui cache le bout de sa queue. J'aime pas ça du tout.
- Merde. Un Soldat?
- Ouais, on dirait bien.
- C'est un piège, grogna Black Jack dans mon crâne. Ils sont venus nous bouffer à la petite cuillère.
- Toujours rien d'anormal, doc? Demandais-je à Foutredieu. C'était lui qui surveillait les écrans depuis l'AG. Il aurait dû savoir si d'autres troupes s'approchaient en douce.
- Rien, boss. Nada. Le vide total. Tronchard nous pète un boulard, c'est tout.
- Va te faire, Doc. Je sais ce que je vois.
- Il a raison, Sphinx, intervins Shooter. Si lui c'est Sran, je veux bien bouffer mon flingue, lunette comprise.
- Et y'a deux Chiens, rajouta Jack. Ça pue.

Je ruminais ça un instant, tout en tenant les Temsés dans mon champ de vision. Je pris ma décision en un éclair.
- On ne change rien. Tronchard, met le champ de force en place.
- Hein? Mais t'es malade? Et si leurs copains nous tombent sur le paletot?
- Tronchard… Je dois éviter de trop parler à cause des lézards qui sont juste devant ma gueule, alors tu fermes la tienne et tu m'écoutes. On ne change rien. Je vais contacter Kaypel dès qu'on aura nettoyé la place. En attendant, vous faites comme prévu, mais vous butez le gros moche. Si un autre survit, on le cuisinera, mais celui-là je le veux mort. Doc, toujours rien?
- Négatif.
- Tu surveilles cet écran comme si c'était ta première strip-teaseuse, pigé? Et tu sonnes l'alarme en cas de pépin. Allez, au boulot. Dépatouillez-moi cette merde.
- Compris boss. On y va.
- Yoko, tu fais gaffe à sa queue, compris. Prudente, prudente.
- Pas de souci chef. Elle riait. J'ai l'habitude avec Tronchard!

Et dans la petite ville, aussi silencieusement qu'une plume qui vole au vent, l'enfer s'est déchaîné.
Ça a pété dans tous les sens. Benji et moi on s'est faufilé jusqu'à pouvoir passer nos lames sur la gorge de deux d'entre eux. Les autres on pas duré beaucoup plus longtemps, mais celui que visait Benji à bien failli l'emporter avec lui. Son dard s'est immobilisé à dix centimètre de sa tête. Une telle dose à cet endroit, c'était la mort instantanée. Bizarre, tout ça. D'ordinaire on ne voyait pas un Soldat par an, et là déjà deux… cela ne présageait rien de bon.
Nous avons bâclé notre travail. On a pris ce qu'on a pu, puis on a rejoint les autres. On entendait toujours les rugissements de Jack et le bruit de son artillerie, et le rire de Shooter qui s'amusait bien. Les Temsés n'ont pas eu une chance. On est arrivés juste quand le carnage se terminait. Yoko venait d'achever le Soldat.
Effectivement, les Temsés devaient nous croire bien cons. Qui aurait pu avaler la couleuvre? J'ai essayé de contacter Kaypel, mais je ne l'ai pas eu. Ça aussi ça m'inquiétait. Pas normal.
Toute cette mission puait de plus en plus. On n'a trouvé aucun indice en les fouillant, mais mon cerveau tournait à plein régime. Je regrettais à présent de ne pas avoir fait de prisonnier. Savoir qui nous avait fait un faux plan aurait été utile. Peu de chance de l'apprendre de leur bouche, mais l'espoir fait vivre. La déception tue, paraît-il. Mouais.

Nous avons attendu un peu, par pure conscience professionnelle, mais aucun autre Temsé ne s'est montré. Kaypel était toujours injoignable. C'était la première fois que son silence radio durait si longtemps. Nous avions une priorité sur le reste de ses affaires, logiquement.
On a foncé vers la base. Kaypel nous y attendait. Je lui suis tombé dessus comme la misère sur le pauvre monde. Ce n'est qu'une fois que j'ai eu braillé tout mon saoul qu'il m'a ordonné de me taire, à sa manière sèche qui savait si bien me faire fermer mon clapet.

Nous nous trouvions dans notre base, c'est-à-dire un grand hangar plus ou moins aménagé, enterré et situé quelque part du côté de Tekal. Ou Oxford, si vous préférez. La salle était immense, le plafond haut et éclairé de gros néons blancs.
A un bout de la pièce se trouvaient nos armes, aussi diverses qu'efficaces. Mais ça c'était surtout le rayon de Shooter et Jack. Moi je me trimballais la mienne sur le dos, comme un escargot de combat.
Juste à côté, l'établi de Benji. Ce mec trifouillait tout ce qui lui tombait sous la main. Notre AG n'y avait pas échappé, ainsi que le module annexe, qui servait à envoyer un seul homme prendre les autres par derrière avec un gros canon au bout de la lunette de visée. Jouissif. Rapide, indétectable, maniable aussi bien en vol qu'en plongée, cet appareil était un petit bijou de la technologie que nous avions sans vergogne dérobé au gouvernement R'nian. Les commandes, prévues pour des Temsés, s'adaptaient plutôt bien aux hommes.
Benji avait réussi à implanter une sorte d'IA au module, et le télécommandait depuis L'AG. Les deux fonctionnaient grâce aux Cellules Magnétiques.
C'est à cause du besoin de carburant pressant (les résultats des maigres rapines ne suffisaient pas à alimenter tout le monde en électricité, ce fut une catastrophe sanitaire gigantesque) que les Magiciens et les Savants s'associèrent en 2480 pour fonder l'Institut Magico-Technologique. L'IMT.
C'est ainsi qu'ils découvrirent les Cellules, et le voyage dans le temps. Par un procédé astucieux de polarité magnétique, un assemblage d'aimants produisait en mouvement une quantité d'électricité dont l'ampérage était réglé par la disposition des aimants. L'inventeur de cette énergie non polluante et autonome s'appelait John Searl, c'est tout ce dont je me rappelle à son sujet.
Toujours est-il que cette découverte fut la source de beaucoup d'autre. Le seul problème de son invention, c'est que les aimants tournaient et tournaient après qu'on leur ait donné une première impulsion, mais ne s'arrêtaient plus. Ils produisaient une énergie allant toujours crescendo, mais toujours sur le même ampérage. La Magie régla ce détail, et aujourd'hui les Cellules sont notre source d'énergie principale.
Mais là n'était pas le sujet.
Juste à côté de l'AG et du module, on trouvait un petit enclos où Médor passait la plupart de son temps à dormir. Si l'enclos était vitré, c'est pas vraiment parce qu'il sentait mauvais. C'est parce que les poissons divers dont il se nourrissait, mutants ou non, puaient comme un tombereau d'ordure. Il n'avait pas l'air malheureux, n'empêche.
Au centre de la pièce, à droite et à gauche, deux petits ateliers, séparés du reste de la salle par des paravents de fer. L'un était la table d'opération de Foutredieu, l'autre la bibliothèque que Cämye avait péniblement réussi à constituer. Les livres se faisaient rares. Tout était mis sur puces, désormais. Les arbres étaient en voie d'extinction, trop rares et trop malades pour qu'on imprime sur du papier.
Une petite porte blindée s'ouvrait sur pièce nue et aveugle où finissaient les gens qu'on enlevait. Et malgré qu'on soit en guerre avec les Temsés, c'est le plus souvent des hommes qui l'occupaient.
Le coin informatique, où une dizaine d'écrans de regardaient en chien de faïence parce qu'on évitait de trop se servir de la Matrice.
Kaypel avait réussi par miracle à récupérer le code d'un des satellites relais qui gravitaient encore là-haut, et nous l'utilisions pour nos communications. Tout était codé, et nul ne pouvait espionner nos conversations, caché derrière un repli mental ou informatique de la Matrice. Pratique.
Enfin le coin où nous nous trouvions. Le vague mobilier réuni, les lampes et le bar en faisaient notre coin détente, là où on prenait nos ordres, là où on s'asseyait une fois de retour. Le salon, quoi.
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Message par Kyle Eyrhills Mar 22 Mar - 13:08

Une facette de toi que je découvre avec un grand plaisir.
C'est pas mal du tout et surtout cela appelle la suite alors n'hésite pas à poster.
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Message par Toron Mar 22 Mar - 14:13

La suite, la suite la suite
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Message par Invité Mar 22 Mar - 19:26

J'adore !!!! La suite Surprised !

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Message par Louve Mar 22 Mar - 19:42

haha ok, a la demande non-générale: M ais je vous préviens, j'ai déjà 300 pages de ça... donc ca peut vous occuper ^^
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Message par Louve Mar 22 Mar - 19:43

Nous étions tous debout, attentifs. Je n'aimais pas quand il arrivait à me faire taire comme ça. J'aurais eu envie de râler encore, juste histoire de relâcher la pression.
Mais au fond, est-ce que je n'étais pas en train de vouloir déverser la bile qui s'accumulait en moi chaque fois qu'un Chien apparaissait? Ma faiblesse face à ces bestioles me remplissait d'un sentiment de fragilité insupportable. Je m'étais toujours considéré comme un dur, en quelque sorte. Je savais ce qu'était la peur, je la ressentais, mais je la dominais. Jamais elle n'avait ainsi ressemblé à cette bête noire et vorace qui me déchirait les entrailles.
Mais je me suis tu, bien sûr. Quand le Patron parlait, peu importait si il me connaissait bien. Un élément indiscipliné devait être remis dans le rang. Il m'aurait remis à ma place aussi sèchement que les autres, et je n'y tenais pas. Je l'écoutais.
Il ne s'est pas expliqué sur son silence radio, mais au final il n'en a pas eu besoin. Vu la tête qu'il avait, on s'est tous doutés que c'était involontaire. Le cocard sur son œil gauche et la balafre récente de sa joue valaient mieux qu'un long discours. Nous avions été doublés. Donc nous avions été découverts. Je comprenais la lueur de colère dans ses yeux.
Nous étions la force de frappe secrète de Kehl. Son escouade de choc. Secrète.
Autrement dit, ça sentait les ennuis. Qui aurait bien pu nous chercher suffisamment pour nous trouver? Nos couvertures étaient en béton. Et qui aurait eu intérêt à nous éliminer? En somme, nous oeuvrions pour le bien commun, et pour celui de Kaypel. Tout homme de pouvoir à besoin d'un atout caché dans sa manche.

Les agresseurs l'avaient enlevé à son bureau, en plein travail officiel lié à ses fonctions de Commandant, la veille. Ce qui signifiait que le Kaypel qui m'avait parlé là-bas n'était pas le vrai. Et que je n'avais pas su, ou pu faire la différence. Lui n'avait jamais pu voir ses agresseurs, et ils avaient communiqué le moins possible en sa présence.
"Mais je suis sûr d'avoir entendu une voix familière, nous dit-il avec colère. Je n'arrive pas à savoir qui c'est. J'ai beau fouiller ma mémoire, je ne retrouve pas."
- Et Cämye? M'inquiétais-je. Il ne lui est rien arrivé?
- Non, aux dernières nouvelles, elle allait bien. D'ailleurs elle doit nous rejoindre. Tant que nous n'aurons pas trouvé qui nous en veut, on ne bougera pas d'ici. C'est encore la seule Planque en laquelle j'ai confiance.
- Et sauf votre respect, Boss, comment vous avez fait pour vous enfuir? Demanda Foutredieu.
- Aucun héroïsme là-dedans. Ils m'avaient bandé les yeux dès le début. Quelqu'un m'a agrippé, planté une dose de je-ne-sais-quoi dans la nuque, et dodo immédiat. Tout ce dont je me rappelle c'est mon réveil dans mon bureau officiel, assis sur ma chaise et la tête dans le cul. Et l'oeil en vrac, ajouta-t-il en portant la mais à son visage enflé.
- Foutredieu… jura le doc.
- Ca ne rime à rien… ils auraient dû te tuer, ou te forcer, ou quoi… dis-je.
- Comment ça se fait que Cämye n'ait pas été inquiétée? Tout le monde sans exception sait qu'elle est votre point faible, Patron, dit Yoko d'un air pensif. Si j'avais voulu vous couper vos moyens, c'est ce que j'aurais fais à leur place. Kidnapper Cämye, et vous le faire savoir.
- Le seul défaut de ton raisonnement, chérie, grogna Tronchard, c'est que Cämye est une puissante magicienne.
- Une aiguille paralysante ou soporifique marche aussi bien sur les magiciens que sur les autres. Un sniper aurait suffit.
- Et déclencher un véritable brassage médiatique?
- Le Commandant de notre capitale se fait enlever pendant presque deux jours et personne ne s'en aperçoit… Pourquoi pas une Magicienne aux moindres responsabilités?
- Parce que, coupa Kaypel, Cämye est prudente. Ça fait quelques mois maintenant qu'elle ne sort pas sans s'être entourée de sorts défensifs discrets, ou de bulle d'armure. Impossible de la neutraliser de loin. Mas ce qui m'inquiète encore plus, c'est comment ils ont fait pour le savoir? Nous devons être truffés de micros chez nous. Et dans les autres planques aussi sans doute.
- Moi ce qui me tracasse, Boss, intervint Benji, c'est que ce traquenard nous prouve une chose assez effrayante. Ou deux choses, plutôt.
- On t'écoute.
Benji se leva et se mit à faire les cents pas. Il n'avait pas pour habitude d'intervenir dans les débats, aussi nous étions attentifs.
"On sait qu'ils nous connaissent suffisamment pour savoir qu'on existe, savoir qui est à notre tête. Mais ils n'en savent pas assez pour estimer suffisamment nos forces et tous nous éliminer d'un coup. Ce soir était un test. Je vous parie que si on avait mieux fouillé, on aurait trouvé des cams et des biocams partout."
" Seulement le point le plus important, c'est: Comment ont-ils réussi à obtenir de l'aide des Temsés?"
"Parce que cette petite embuscade, les humains n'ont pas pu la monter seuls. Les soldats qu'on a vu venaient bien de quelque part…"

- Des Soldats?! Cämye venait d'arriver. DES soldats? Répéta-t-elle, horrifiée.
- Des soldats, confirmais-je. Deux.
- La mission de ce soir, c'est ça?
Sur notre acquiescement, elle se mit à bouillir. Je ne l'avais que rarement vue si en colère. Benji s'éclaircit la gorge. Quand il vit qu'il avait de nouveau l'attention générale, il continua.
"Je disais donc que ces soldats viennent forcément de quelque part. Et ils reçoivent leurs ordres d'en haut, comme nous. Je doute cependant que le gouvernement Temsé soit prêt à perdre deux précieux soldats pour un simple Test. Qui plus est pour rendre service à des humains."

- Attends, qu'est-ce qui te fait croire que ce ne sont pas les Temsés seuls qui nous ont blousés? L'interrompit Tronchard. Après tout c'est possible. On les emmerde quand même suffisamment pour qu'ils en aient marre et décident de monter une expédition punitive.
- Comment tu expliques l'enlèvement alors? Dans les couloirs du Bâtiment, un ou deux Temsés ne seraient certainement pas passés inaperçus, ais-je dit. Ils ont forcément eu un coup de main.
- Mais QUI a monté ça? Les Temsés, ou les humains? Demanda Foutredieu. Doit-on chercher des ennemis politiques, ou se préparer à des escarmouches en frontière de territoire?
- Je peux toujours aller faire un tour là-bas, voir si je trouve quelque chose, proposa Yoko. Si je trouve une Cam, ou de l'activité quelconque… ça peut nous mettre sur la voix.
- Trop dangereux d'y aller seuls, répliqua Kaypel. Maintenant nous devons partir du principe qu'ils nous connaissent tous, avec nos capacités et nos limites. Et je préfère supposer qu'ils savent déjà où nous sommes et ce que nous faisons. Dans ce genre de cas, la paranoïa n'a jamais nuit à personne.

Je parcouru d'un autre regard les murs qui m'entouraient. Soudain, ils n'étaient plus sécurisants, mais ressemblaient aux murs d'un tombeau qui lentement se referment sur votre dernier espoir de salut. Je retins un frisson. Tandis que les autres continuaient de se chamailler et de débattre, je remarquait Shooter et Black Jack en grande discussion du côté de la bibliothèque. Je me hâtais de les rejoindre.

- De quoi vous parlez, vous deux? Demandais-je.
- On a un problème, Sphinx, me répondit Shooter.
- Encore un? Vas-y, balance.
- C'est moi, dit Jack. J'ai joué au con.
- Explique.
Il eu une hésitation, et me regarda d'un air à la fois désolé et honteux.
- Tu te rappelles que tu as dit « si l’un d’eux survit, on le cuisinera » ?
- Ne me dis pas que tu as été assez con pour en laisser un partir?
J'avais haussé la voix. Je sais pourtant que Jack est trop gentil. Buter du Temsé à tout va, ou quelques connards humains par-ci par-là, ça il sait faire sans états d'âme. Mais il suffit qu'une gonzesse se pointe, ou un gosse, et il perd tous ses moyens. Sachant que chez les Temsé les femmes sont aussi dangereuses, coriaces et mortelles qu'un homme, ça aurait dû lui passer, au moins par rapport à eux. C'est fréquent de voir un bataillon de Temsés avec près de la moitié de femmes. Et je ne leur fais pas de cadeau. Je tiens à ma vie.
Mais pas le Jack.
Evidemment, il y avait une ou deux femmes parmi ceux de ce soir; Et, évidemment, Jack en a laissé filer une.
Je l'aurais tué. Je crois qu'il a bien comprit à quel point, parce qu'il s'est ratatiné. Il a dû se douter que la réaction de Kaypel risquait d'être violente aussi.
J'aurais bien voulu pouvoir le couvrir, réparer sa bourde avant que Kaypel l'apprenne. Mais dans l'état actuel des choses, cacher une chose pareille au Boss, pendant si peu de temps que ce soit, revenait à un probable suicide. Il se devait d'avoir toutes les informations et une vue globale du problème pour savoir où aller.
Ce qui signifiait certainement l'exécution propre et simple de Black Jack. Pas qu'on l'aimait pas, au contraire. Il était un élément utile et apprécié. Mais ce n'était pas la première fois qu'il nous faisait un plan dans le genre. Et ce ne serait sans doute pas la dernière. Et, encore une fois, à cet instant, ça revenait à un suicide.

Je soupirais. Shooter et moi nous regardâmes. D'un haussement d'épaules, il me signifia qu'il n'avait pas la moindre idée utile. Je considérais le Jack. Au fil des ans, il était devenu un ami. Un être cher, indispensable à mon bien-être.
Je doutais de parvenir à convaincre Kaypel et Cämye que le tuer ne serait pas la meilleure des solutions. Parce que ce serait effectivement le cas. Quand on signe pour la B-Team, c'est à vie. Jusqu'à la mort. Parce que nous savons trop de choses pour qu'on nous rende à la vie normale sans autre gage qu'une poignée de main.
Un membre de notre équipe qui aurait été renvoyé, au bout d'un moment, aurait forcément fini par l'ouvrir. Et semer soit la panique, soit passer pour un fou. Mais, de nos jours, on écoutait les fous.
Et à aujourd'hui, avec cette menace inconnue au-dessus de la tête il était tout simplement impensable de risquer une autre gaffe comme celle-ci.
Mais je me refusais à le faire. Je ne condamnerais pas un ami pour satisfaire une conscience professionnelle.
Vraiment?
Alors pourquoi est-ce que je me sentais si mal? Une survivante du raid de ce soir pouvait tous nous condamner. Suffisait qu'elle ait surmonté sa chocotte, et soit restée un brin derrière à observer. Si c'était le cas, désormais aucun de nous ne leur était inconnu. Et si il y avait effectivement une alliance entre humains et Temsés dont nous ferions les frais, notre situation venait de devenir désespérée. Ne pas savoir où nous chercher, ni qui nous étions, c'était la seule défense que nous possédions contre des ennemis politiques.

Je ne sais pas combien de temps on est resté là tous les trois, à se morfondre sur les conséquences de l'acte du Jack. Quand j'ai relevé les yeux vers lui, Jack avait l'air résolu. Il a plongé ses yeux dans les miens, et a appelé le boss d'une voix forte.
Quand Kaypel s'est ramené, Cämye derrière lui, il n'a eu qu'à voir nos têtes. Un gros soupir l'a parcouru. Il connaissait le Jack.
- Allez, racontez-moi. C'est quoi la prochaine bombe que vous avez à me balancer?
Résumer le topo n'a pas pris beaucoup de temps. Le silence est retombé. Black Jack était comme éteint. Tous, nous l'étions.
On avait beau être des salauds, des assassins, des durs à cuire… Comment tu peux tuer ton ami quand il vient de te lire lui-même les chefs d'accusation et qu'en plus il te regarde avec l'air tranquille et serein d'une vache sacrée? Kaypel, comme Cämye, comme moi, comme nous tous… Nous savions qu'une mise en garde, un "ne recommence plus" ne suffirait jamais. Jack était un tendre, profondément. Il ne nierait pas sa compassion. Il ne tuerait jamais de femmes juste pour nous être agréable… ou pour sauver sa propre peau.
Il préférait encore que nous l'exécutions.
Voir ainsi un homme aller jusqu'au bout de ses convictions, certes un peu romanesques, dans des temps si troublés… ça m'a soudain fait me sentir mal dans ma peau. Pas que je me repente soudainement de toutes ces morts que j'avais causées, mais j'admirais la foi inébranlable de Jack.
Il incarnait un stéréotype classique. Le gros dur armé de sa sulfateuse qui accroche le calendrier playboy au-dessus de sa couchette et qui, dans la bagarre, hurle de rire en tirant. Mais celui-ci, un peu différent, un peu nounours, sublimait le personnage.
Puis Kaypel s'est contenté de le regarder dans les yeux, et a tourné le dos pour s'éloigner.

Je comprends pourquoi Kaypel l'a laissé comme ça, sans même prendre la peine de l'engueuler. A quoi bon? Si c'était à refaire, il le referait. Il était comme ça. Mais Jack, peut-être par souci d'en finir une fois pour toute, n'a pas accepté. Allez savoir ce qui lui est passé par la tête. Honneur, lassitude, colère, dégoût? Il a attrapé le flingue à sa ceinture, et d'un mouvement rapide se l'est appuyé contre la tempe. Aucun d'entre nous n'a eu le temps de faire quoi que ce soit. Son dernier murmure à été couvert par le bruit du laser, mais je suis sûr encore aujourd'hui qu'il m'a dit: "désolé".

Je suis resté sans réaction. Pas eu le temps. Dans ma tête, ça a fait comme un gros blanc. Un brouillard dense où mes pensées se répercutaient à l'infini. J’ai soudain ressenti une sensation de distorsion… Quelque chose ne collait pas. La scène était anormale, je le sentais. Jamais Kebel n’aurait exécuté Black Jack, il connaissait bien et l’avait engagé tout de même. Tous, nous le savions. Alors pourquoi, moi autant que les autres, avions nous été brièvement persuadés du contraire ? Et même Black Jack qui l’avait tellement cru qu’il s’en était flingué ?
J'en étais encore à essayer d'analyser l'information quand, dans la demi seconde qui a suivi, l'enfer s'est déchaîné. Dans ce temps étiré, du coin de l'œil j'ai vu Kaypel et Cämye qui n'avaient pas encore eu le temps de se retourner complètement vers nous. Devant moi, Jack était couché, serein en dehors du trou propre, net et cicatrisé que le laser lui avait dessiné sur la tempe. Shooter continuait le toujours le mouvement amorcé pour empêcher Jack de se suicider.
Comme si le temps avait suspendu son inexorable course en faveur de ma compréhension, je vis tout le tableau voler en éclat. Au-delà de ma perception visuelle, le mur opposé s'est gondolé. Gondolé. Il a enflé, enflé, et au moment ou je terminais enfin de prendre l'inspiration nécessaire à un cri d'alarme, il a éclaté. Tout ce que ma conscience à eu le temps d'enregistrer, c'est l'impossible vision d'un bloc de béton où dépassait des barres de métal être projeté sur Kaypel et Cämye. Shooter qui se trouvait juste entre moi et le mur n'a pas mieux résisté aux blocs de bétons et aux morceaux de métal qui l'ont percuté, le projetant sur moi. J'ai reçu un gnon monumental dans la hanche, et le souffle de l'explosion nous a projeté, le corps de Shooter et moi, contre le mur. Le choc m'a coupé la respiration, et j'ai entendu les cris de mes camarades en même temps que les bruits distinctifs de pistolets lasers qui entraient en action. Et j'ai abandonné mon âme aux tourments de la bataille, avec joie et délice. Je n'ai rien entendu, mais plus tard Yoko m'a dit que mon hurlement avait failli la faire tuer.
Quand je suis revenu à moi, elle me ceinturait, m'empêchant de bouger, alors que Tronchard me jetait en toute hâte un sortilège de sommeil. J'ai arrêté net de bouger et de hurler, et ils m'ont regardé d'un air circonspect. Je devais avoir l'air passablement désorienté, parce que Yoko m'a brièvement serré dans ses bras, chose qu'elle n'avait jamais fait, avant de me coller la torgnole du siècle.
- Ca c'est pour avoir failli me tuer! Me grogna-t-elle.
Quand j'ai froncé les sourcils, lentement envahi par la colère, elle a souri faiblement à Tronchard qui poussait un soupir de soulagement. J'ai parcouru les alentours du regard. De notre Planque, il ne restait plus grand-chose. Le mur soufflé par l'explosion avait détruit l'aménagement, et des tas de cadavres jonchaient les ruines. Comme un somnambule, je me dirigeais vers l'un d'entre eux. Comme je restais sans réaction devant le corps, Tronchard a expliqué:
- Des militaires. Bien entraînés et équipés. Leur sorcier doit se trouver quelque part là-dessous, dit-il en désignant du doigt un monceau de gravas. Ou ce qu'il en reste. Yoko a fait le ménage, et je me suis assuré qu'aucun ne s'échappe.
Il s'est tut et s'est raclé la gorge.
La furie qui m'avait envahi était retombée, mais mon cerveau fonctionnait au ralenti. Probable qu'il n'y avait pas que mon dos qui avait cogné si fort contre le mur. Me rappelant le choc à la hanche, je baissais les yeux. Je vis dépasser de ma chair un bout de métal tordu. Un flot de sang avait détrempé le pantalon de toile noire, et commençais à former une flaque sur le sol. Je regardais mes mains, et je vis qu'elles aussi étaient couvertes de sang. Puis je me rappelais brusquement que la plupart du sang devait provenir du corps broyé de Shooter. En même temps que ce brusque souvenir, je fus obligé d'admettre que l'image de ce bloc de béton fauchant ma seule famille devait être réelle.
Je fermais les yeux, soudain conscient de la douleur lancinante de ma hanche, de la faiblesse de mes jambes et des larmes qui roulaient sur mes joues.
Je crois que même si je leur tournais le dos, Yoko et Tronchard ont dû percevoir mes pleurs, parce qu'ils ont poussé des soupirs indéchiffrables.
J'ai carré les épaules, et, sans me retourner, j'ai grogné:
"Au rapport."
Yoko à vivement avancé pour se placer à ma hauteur avec un "Oui, chef" efficace et tout à fait satisfaisant.

L'explosion qui m'avait soufflé avait tué sur le choc Cämye, Kaypel, Shooter et Benji. Leurs corps que l'on avait pas encore dégagé des gravas étaient tordus, pliés, mutilés. Cämye avait reçu la plupart des dégâts, étant du mauvais côté, mais Kaypel avait le crâne enfoncé par un bloc de ciment. Délicatement, nous avons pris le temps de les extirper et de les coucher sur une partie pas trop encombrée du sol. Benji avait eu l'artère sectionnée par un bout de métal volant, et avait dû crever lentement sous son tas de décombres tandis que nous nous battions. Nous tirâmes le corps de Shooter, brisé, et l'installâmes auprès des autres. Foutredieu avait succombé durant la bataille, criblé de petits trous cicatrisés. Tronchard avait juste eu le temps de dresser un bouclier pour lui et Yoko, qui se trouvait à ses côtés lors de l'assaut. Quand le choc de l'explosion était passé, Ils avaient vu une quinzaine de militaires pénétrer en formation serrée par le trou béant, et une boule de feu rondement envoyée en avait expédié trois d'office.
D'après ce qu'ils m'ont dit, au moment où Yoko commençait le nettoyage et que Tronchard tentait de neutraliser le sorcier de l'escouade adverse, j'avais poussé un beuglement de rage tel que la surprise avait failli la faire griller. D'où la cicatrise brûlée de laser qu'elle arborait sur le bras droit. Elle m'a dit qu'elle m'avait vu m'extirper d'un tas de pierres et commencer à canarder tout ce qui bougeait en courant vers eux. Arrivé au contact, j'avais apparemment jeté tout bon sens aux orties et avait joyeusement foncé dans le tas, la bave aux lèvres. Le temps que Tronchard fasse tomber le plafond sur le sorcier surpris et que Yoko liquide ses opposants les plus proches, j'avais fait un gros trou dans l'effectif ennemi. Elle a fini les autres, et a essayé de me calmer.
Mais enragé, devenu Berserk, je n'ai pas réagi et ai continué de chercher des ennemis, m'acharnant sur le corps du dernier que j'avais tué et que je gardais dans les mains. J'ai violemment rejeté le cadavre au loin en apercevant le trou, et ait commencé à me diriger dans ce sens. C'est à ce moment que Tronchard et elle ont décidé de m'endormir.
Je serais devenu parfaitement incontrôlable, et aucun d'eux ne savaient si une autre escouade ne nous attendait pas dehors. Ils préféraient se transférer quelque part dans Kehl en attendant d'y voir plus clair. Mais impossible d'embarquer un fou furieux. Le premier sort m'a loupé parce que je courais vers le trou du mur pour poursuivre les ennemis. C'est pour ça que Yoko me ceinturait fermement quand j'ai retrouvé mes esprits, et que Tronchard marmottait son sort à toute vitesse.

J'ai écouté tout le rapport sans rien dire, les yeux perdus dans le vague. Les questions tourbillonnaient dans ma tête. Tout à l'heure les Temsés, là des humains, et militaires de surcroît. Qui nous en voulait à ce point? Qui pouvait bien avoir assez d'influence pour obtenir l'aide des Temsés? Pourquoi diable Jack s'était fait sauter le caisson? Où allions-nous nous réfugier? Qu'allions-nous faire maintenant? Qui avait monté ça? De qui rendre responsable la mort de ma Famille? Oh, merde, ils étaient vraiment morts? Comment les venger? Kaypel et Cämye auraient su quoi faire. Mais il était mort, et elle était morte. Elle ne jouerait plus de piano. Ses yeux vitreux salis par la poussière ne pétillaient plus, désormais. Kaypel, mon cher Kaypel, mon frère si intelligent avait la caboche si enfoncée que sa cervelle était ressortie de l'autre côté de son crâne.
Je m'imposais ces images violentes et ces réflexions dures, voulant me persuader une bonne fois de ma perte, et aller de l'avant. Comme je l'avais toujours fait…
Quand mon meilleur ami d'enfance, mon âme sœur des bidonvilles était mort, j'avais su trouver en moi la force de continuer, comme si de rien n'était.
J'avais vu son cadavre mutilé. Il en manquait des bouts.
Il avait été enlevé pour le compte d'un labo qui offrait en échange de grosses sommes les reins ou le cœur sain d'un enfant des rues aux riches et vieux donateurs qui en étaient à leur quatrième pontage, ou leur troisième dialyse…
Sa perte cruelle m'avait laissé seul et livré à ma seule haine pour compagnie. Et je m'en étais sorti.
Aujourd'hui encore, je m'en sortirais. Le chagrin passerait, et j'aurai du temps à lui accorder plus tard. Dans l'immédiat, nous devions nous trouver un endroit où lécher nos blessures. Mais alors pourquoi mon cœur se serrait-il si fort?
La confusion de mes pensées m'absorbait tellement que je ne me rendis pas compte de ma chute, vivement accompagnée par les mains à la fois frêles et puissantes de Yoko. Comme de très loin, je l'entendis dire à Tronchard de se dépêcher, de les transférer à l'hôpital le plus proche. Puis je me laissais aller avec gratitude dans les ténèbres cotonneuses où toute émotion était absente.


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Message par Kyle Eyrhills Mer 23 Mar - 10:18

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Message par Louve Mer 23 Mar - 11:33

CHAPITRE 4




On dit souvent qu'au réveil, après un tel choc, la confusion nous fait oublier un moment le pourquoi de notre tristesse. Dans mon cas, alors que j'émergeais du brouillard, je savais déjà que rien de ceci n'était un rêve. Je me souvenais trop bien des cadavres broyés de mes amis. Quand, derrière mes paupières closes, j'entendis un mouvement dans la pièce, mes sens se mirent immédiatement en alerte. Un autre bruissement de tissu se fit entendre, et il était indéniablement plus proche. J'attendis encore un peu, puis une voix de femme, à la fois ferme et douce, une vois d'infirmière s'éleva. Toutes les infirmière, quelle que soit l'époque, ont cette façon de parler à leur patient.
- Vous pouvez ouvrir les yeux, vous savez. Je sais que vous êtes réveillé. Votre respiration le prouve.
Légèrement irrité, j'ouvris les yeux. Je m'attendais à voir une salle blanche et aseptisée, si propre aux hôpitaux, mais mon regard se porta sur des murs gris et lisse, avec quelques rares images de paysages verdoyants, perdus depuis longtemps. Pas de fenêtre, mais une porte de fer qui, entrouverte, laissait filtrer un peu de lumière et de musique. Enfin, de la vraie musique, pas une de ces cacophonies modernes technoïdes qui parasitaient les scènes. La femme qui s'encadra dans mon champ de vision était à la fois belle, jeune et bien roulée. Elle ressemblait, me dis-je avec un pincement de cœur, à Cämye. Mais mon infirmière aurait pu être la fille de Cämye, tant elle paraissait jeune. Elle s'approcha de moi, et d'une main sûre me palpa jusqu'à ce qu'une moue mi-figue mi-raisin conclue son examen minutieux.
- Vous pouvez entrez, dit-elle vers la porte qui s'ouvrit pour laisser passage à Yoko et Tronchard.
Ce dernier avait une sale gueule, et je ne me privais pas de le lui dire. Yoko éclata de rire, et me dit qu'il avait passé toute la nuit à tenter d'assister Enne, la petite infirmière, pour me soigner. D'autant plus étonnant que Tronchard n'avait jamais eu le moindre petit talent pour la magie curative, mais apparemment ça avait fonctionné. Je me sentais faible, convalescent et triste, mais pas de cette faiblesse dangereuse qui m'avait saisi là-bas, à la planque. Mes mâchoires se crispèrent quand je me remémorais les amis que nous avions perdus.
- Papa m'a aidé comme il a pu, mais vous avez de la chance d'être encore en vie, grogna Enne, prenant soudain la parole. Je vais aller faire à manger. Ajouta-t-elle en sortant de la pièce.
Je me retournais vers Tronchard avec un haussement de sourcil si exagéré qu'il pouffa de rire. Je lui souri en retour et me mis à le taquiner.
- Par contre, me dit-il très sérieusement, pour elle je suis Papa, ou simplement Simo. Pas de Tronchard ici, hein, grogna-t-il en regardant autant Yoko que moi.
- Bien sûr, mon gros loup, ricana Yoko. Faut avouer que ça te va mieux, pas vrai Sphinx?
- Sûr!
Je me rendais compte du risque que Tronchard avait pris en nous amenant ici, et de la confiance qu'il nous portait. Je ne suis pas sûr que j'aurais dévoilé un tel secret, même pour eux et dans une situation si désespérée. Mais je ne pu m'empêcher de lui faire remarquer que nos couvertures étaient sans doute grillées aussi, et nos habitations à tous, surveillées.
" Personne ne sait que Enne est ma fille. Pas même sa mère, je crois bien… soupira-t-il. Aucun risque qu'on vienne nous chercher ici, me rassura-t-il. Mais plus tôt nous serons partis, mieux ça vaudra."
- Pas que je veuilles pas, répliquais-je, mais je crois que ça va être dur dans l'immédiat, dis-je en désignant ma hanche.
- Tu devrais être sur pieds d'ici un jour ou deux, me répondit-il. Tu as vraiment failli y passer, mais tu es suffisamment costaud pour qu'on aie pu te soigner en partie, sans te bouffer toute ta force vitale.
- Tout ce qu'il vous faut, continua Enne en ramenant un plateau où fumaient trois bols de soupe, c'est du repos et une nourriture riche en protéines. Mais vous aurez une cicatrice, et vous ferez un excellent baromètre! Elle ne put s'empêcher de sourire, atténuant ainsi son sarcasme.
Je me concentrais immédiatement sur la nourriture, et je n'entendis pas vraiment les taquineries qu'Enne envoyai a Tronchard sur son poids, et le fait qu'il avait déjà pillé le frigo une heure avant.
Nous mangeâmes en silence, affamés. Ces brefs moments de légèreté m'avaient fait du bien, et la chaleur de la soupe également. Je me mis à réfléchir à la suite.
J'allais sans aucun doute trouver, déterrer, démembrer et ré-enterrer ces fils de chiennes qui nous avaient si durement touchés, et j'allais évidemment venger la mort de mes amis. Le tout était de savoir dans quel ordre, quand, avec qui et comment. Dans l'immédiat, pas grand-chose à faire sinon essayer de se renseigner. La nouvelle de la mort de Kaypel n'allait pas tarder à circuler, et voir à qui elle profiterait serait intéressant.
Nous étions quasiment décimés, aucun doute que l'ennemi, quel qu'il soit, n'aurait aucune crainte à se montrer au grand jour.
Mais parfois les réponses les plus évidentes ne sont pas les bonnes. Je n'allais pas laisser mon désir de vengeance m'aveugler au point de louper des infos importantes.
Le premier point à éclaircir serait de savoir si Tronchard et Yoko seraient avec moi. Les patrons étaient morts, avec eux leur paye et leur raisons de rester. Ils n'avaient pas cet attachement sentimental à Kaypel et Cämye. Ne pas venger leur mort de les empêcherait pas de dormir, et je ne voyais pas ce qui pourrait les pousser à m'aider, sinon l'amitié ou la solidarité. Peut-être un idéal? Qui sait.
Comme j'ouvrais la bouche pour leur poser la question, Yoko leva la main et me devança.
- Nous allons venir avec toi, me dit-elle. Non, laisse-moi parler, ajouta-t-elle alors que j'ouvrai de nouveau la bouche. Nous en avons discuté pendant que Enne te soignait, et nous sommes tombé d'accord. Moi, parce que je n'ai que ça. Pas de famille, pas d'amis ou de travail. Et j'ai appris à vous aimer, tous. La mort des autres me reste aussi sur l'estomac, tu sais, murmura-t-elle avec douceur.
- Moi parce que je ne supporte pas, mais alors pas du tout qu'une bande de petits connards sans expérience aie pu nous baiser à ce point. Merde!
Du salon nous parvint la voix de Enne:
- Calme-toi, papa. Et tu devrais surveiller ton langage.
Tronchard leva les yeux et les bras au ciel, dans la plus pure parodie de la mama italienne.
Je souriais intérieurement de voir mon petit sorcier acariâtre devenir un vrai papa gâteau, mais ma vengeance obnubilait mon esprit. J'en voulais à la Terre entière, seul de nouveau. Je me sentais l'âme d'un chaton noyé. Misérable et miaulant.
Je me remis à ruminer mes idées noires, les dents serrées. Yoko eu le tact de sortir, poussant Simo devant elle. Seul avec mon cafard, je ne m'aperçus même pas que je glissais peu à peu dans le sommeil. Enne qui entrait dans la pièce avec un joyeux sourire me réveilla le lendemain. Je suppose que ce devait être le matin.
- Alors, comment ça va? Je t'ai refait ton pansement cette nuit, tu dormais comme un loir.
Tiens, bizarre. J'aurais dû me réveiller. Je la regardais d'un air soupçonneux.
- Oui, j'ai mis un sédatif dans ton repas, hier, dit-elle en réponse à la question que je n'avais pas posée. Tu as avant tout besoin de repos.
Elle s'installa au bord de mon lit et me saisit le menton, regardant mes yeux, ma langue, tâtant ma gorge. Elle poussa les couvertures d'un geste négligent, sans aucun souci pour ma pudeur. J'en rattrapais un peu au vol et me couvrit du mieux possible. Le sourire qu'elle me lança, à la fois amusé et espiègle, me fit piquer un fard.
- Ton pansement a bien tenu. La plaie est propre, mais assez profonde… Tu ne marcheras pas tout de suite, et ça devrait te prendre une ou deux semaine avant de pouvoir courir ou quelque chose dans le genre…
J'étais effaré. Deux semaines? Jamais je ne pourrais rester les bras croisés si longtemps, pendant que les responsables de la mort de Cämye et Kaypel se baladeraient dans la nature!
- Mais… Hier tu as dis "dans un jour ou deux"… Je ne pu empêcher ma voix de prendre un ton geignard.
- Hier je croyais qu'Aliok était encore en vie. Ou que le labo voudrait bien me fournir un peu de cicgel. Mais Aliok, -Un magicien spécialisé dans la magie curative- s'est apparemment fait embauché pour un coup foireux, et personne n'a de nouvelles depuis. Selon les probabilités… Adieu, Aliok.
Elle soupira, et se releva d'un mouvement fluide.
"Quand au cicgel, ils sont en rupture de stock. Enfin, c'est ce qu'ils disent, mais je sait que c'est impossible. C'est un truc très simple à fabriquer, et rien ne marche aussi bien. Tous les hôpitaux en ont toujours besoin. Mais on dirait qu'ils ont interdit la vente au public depuis deux ou trois mois. Je me demande bien ce qu'ils mijotent. Qu'est-ce que ça peut leur rapporter de faire ça? Ça ne créée pas d'accoutumance, et ils perdent une clientèle importante qui n'a pas les moyens de se faire soigner. Les gens vont en revenir aux mêmes produits qu'avant. Plus longs, mais tout aussi efficaces… " Elle resta pensive un bref instant, le doigt sur les lèvres, puis se détourna avec un haussement d'épaules et sortit avec un sourire.
Cependant ce qu'elle avait dit me laissait pensif. Je m'intéressais peu aux fluctuations du marché de cicgel, mais le fait que quelqu'un embauche dans le coin, et des mages soignants qui plus est… Ce pouvait être une piste. Quiconque embauchait quelqu'un comme Aliok s'attendait à du grabuge.
Et surtout j'allais devoir trouver un mage pour ma jambe. Je ne pouvais pas me permettre de laisser la piste refroidir durant tout ce temps.
J'appelais : "TR…. SIMO! Viens voir par ici une minute!"
- Il est sortit y'a une heure. Qu'est-ce que tu veux? Demanda Yoko en passant la tête par la porte.
- Y'a pas un autre médicomage que cet Aliok, dans le coin? Et tiens, on est où, au fait?
- Je sais pas trop. J'ai pas pu sortir depuis qu'on est arrivé. Pour la sécurité de Enne, tu sais, tout ça…
- Mouais. Et pour ce mage?
- Moi je connais pas le coin, tu sais. J'en sais rien. Faudra attendre Tronchard.
- Allons, me fais pas croire que t'as pas une petite idée? Ça fait combien de jour qu'on est là? Trois? Quatre?
- Sept.
- Hein?! Je me redressais soudain sur mon lit, et le regrettais aussitôt. Sept jours? Mais j'ai dormi combien de temps, nom de dieu?
- Si je calcule bien, ça fait cinq jours à peu près, petit homme. Toi y'en avais être fatigué, visage pâle.
- Je me sens avec autant de forces qu'un chaton. Et mon bras aurait besoin d'un coup d'entretien.
- Pour ce qui est de ton bras, je peux m'en occuper. Mais il faut que tu oublies tout de suite la magie pour l'instant. Tu ne te rends pas comptes à quel point tu étais proche de la mort.
Elle se mit à marcher de long en large, arpentant la petite pièce.
" Le bout de métal qui t'a traversé a fait des ravages pas possibles à ta hanche. En fait, médicalement, physiquement il était impossible que tu puisses marcher. Pourtant Tronchard et moi on t'a tous les deux vus.
La barre de fer a traversé ton bassin, et … détruit le haut de ton fémur. Ton articulation était complètement broyée, inexistante. Ta jambe aurait dû pendre, inutilisable. La douleur aurait dû te clouer au sol. Et tout le sang que tu as perdu aurait dû te tuer. "
" Si Simo avait l'air si épuisé, ce n'est pas parce qu'il n'a pas de talent pour la magie curative. C'est parce que Enne à dû puiser dans son énergie vitale pour te soigner. La tienne ne suffisait plus. Ça t'aurait tué. Mais ton état était trop grave, ne pas continuer t'aurait tué tout aussi sûrement. Enne n'a pas pu puiser dans la mienne. Je suis trop modifiée, ça influe sur le mana et sa pureté, ou je ne sais quoi…"
Le silence régna un moment. Ce que Tronchard avait fait pour moi était inconcevable. Je ne me serais jamais attendu de sa part à une telle manifestation d'amitié. Ni de celle de Yoko. Je me sentais fier, et rempli de gratitude. Bêtement, les larmes me sont montées aux yeux. Un instant de faiblesse, sans doute, avec ma convalescence, il était facile de se mettre dans tous ses états pour rien… Mais quand même, ça me réchauffait le cœur.
Et, parce qu'on regrette toujours de ne pas avoir dit plus souvent ce genre de choses un jour ou l'autre, je regardais Yoko, et la remerciais.

Je ne me souviens pas de grand-chose de cette période. Juste que je me remettais lentement, trop lentement à mon goût, et que mes deux partenaires s'échinaient à suivre une piste quasi-inexistante avec les moyens du bord. Durant presque trois semaines, Enne m'a formellement interdit de poser le pied par terre. Quand j'ai eu la velléité de lui désobéir, elle a dû le deviner et ne m'a plus quitté. A chaque période de veille, elle était là, attentive à mes besoins, protectrice comme une mère poule, et aussi inflexible qu'un garde-chiourme. Je ne me plaignais pas trop. Je n'avais pas la force. Et puis, il existe des matons bien moins séduisants, le mien me convenait.
Je suis sûr qu'elle glissait sans vergogne du sédatif dans les trois quarts de mes repas, sans doute avec le complet accord de Tronchard. Trois semaines dans le brouillard, la tête cotonneuse, à rager contre mon impuissance, ou à râler après eux parce qu'ils m'empêchaient de sortir.
Ces premiers réveils m'avaient induits en erreur en me faisant croire que la convalescence serait brève. La fièvre me consuma. Je délirais, appelait à grands cris Camille, Kebel et Suong-li, mon ami d'enfance. Je tuais Darrilo un nombre incalculable de fois, et perdis le compte du nombre de Chiens qui hantèrent mes rêves fiévreux. Mille fois je vis Jack se suicider, et mille fois je ne pus l'en empêcher, me demandant toujours "Pourquoi?!" alors que le monde vacillait et que le souffle de l'explosion de projetait dans le monde réel.
Je fis des rêves qui n'avaient aucun sens, sur Maman et les Temsés. Un énorme Dragon rutilant, les mâchoires grandes ouvertes pour m'avaler, me consumer, me broyer se jetait sur moi, encore et encore. Au dernier moment, chaque fois, une Temsé venait me sauver. Chaque fois elle me rejetait loin de la fournaise béante de la bête et chaque fois, le dragon la dévorait.
Les détails de ce rêve sont à jamais gravés dans ma mémoire. La couleur du dragon, la chaleur de son souffle, et le dernier regard que me lance la Temsé avant de mourir. Que cela se passe sur les pentes d'un volcan, sur une plateforme pétrolière, en rase campagne ou en pleine ville, toujours elle se sacrifie, et toujours dans ses yeux je ne lis qu'amour et tendresse lorsqu'elle me regarde.
D'autres rêves me hantèrent, alors, mais aucun n'avait à la fois la netteté et l'incohérence de celui-ci.

Petit à petit, je me remettais donc, et mes périodes de veilles plus longues me permirent de mettre doucement au point un plan d'action.
Je n'avais qu'un très faible espoir de retrouver un jour les assassins de ma famille, les commanditaires de cette exécution. Mais je me devais d'essayer. Nos seules pistes étaient l'enregistrement audio de l'homme qui m'avait parlé, mais qui n'était pas Kaypel, et le fait que les Temsés semblaient jouer un rôle là-dedans. Yoko refusais de considérer cela comme une piste. Des alliances entre les hommes et les lézards existaient mais seulement sur un plan purement économique. Nous leur fournissions quelques denrées utiles en sous-main, et eux faisaient de même. Tous les AG les plus récents étaient de facture Temsé, sans le moindre doute. Mais imaginer qu'un de nos dirigeants, ou plusieurs, puissent impliquer les Temsés dans leurs manœuvres politiques était surréaliste, disait-elle.
Enfin, ma troisième et dernière piste, c'était le Jack. Et là, c'était Tronchard qui refusait de me croire. Pour lui, Jack aurait été capable d'un truc pareil. Qu'il se suicide juste à cause d'une broutille comme celle-ci, c'est ce que moi j'avais du mal à croire. Pourquoi a ce moment précis? Pourquoi le "désolé" lors de la détonation? Et surtout cette aberration qui nous avait fait tous croire en cette possibilité d’exécution. Yoko m’appuyait. Elle aussi ressentait cette impression de souvenir faussé, comme si on avait influé sur nos esprits à ce moment là.
Simo, lui, réfutait et niait en bloc. Je le soupçonnais d’avoir une pétoche monstre à l’idée de la puissance d’un mage capable d’une chose pareille. Il disait que le choc de s’être autant fait avoir et la colère avait peut-être exagéré notre ressenti à tous, mais il ne trouvait pas la chose aussi tirée par les cheveux que moi. En somme ça pouvait se tenir, mais je refusais de le croire totalement.
Quand à Enne, elle se contentait de jouer les infirmières, et de me lancer des œillades. Elle ne prit pas souvent part à nos discussions, et seulement pour appuyer un argument ou un autre, mais je sentais qu'elle aurait voulu avoir son mot à dire.
Je ne lui prêtais aucune attention, et réfléchissais encore et encore au moyen de nous renseigner sur tout ce qui s'était passé durant notre retraite forcée. Savoir qui avait gagné quoi dans cette affaire nous en dirait un peu plus. Je fini par demander à Simo où nous étions. J'approchais du moment où je pourrai marcher de nouveaux, et j'étais assis sur mon lit de malade, que j'avais appris à détester autant que les sermons de mon infirmière. Mon sorcier avait encore l'air fatigué, mais plus épuisé comme il y avait à peine quelques jours de ça.
"Chinhoyi"
- Hein?
- Chinhoyi. Zimbabwe. A une centaine de kilomètres de Harare, la capitale.
- Mais qu'est-ce qu'on fout ici, hein? A des kilomètres de là où tout se passe? On devrait être à Kehl, au cœur du problème!
- Détrompes-toi, me répondit-il en souriant. En fait, Kehl est morte, Sphinx. Elle a été rasée dix jours après notre arrivée ici. Les Temsés, qu'ils disent.
J'étais sur le cul. Kehl faisait la taille de Marseille, directement sous ses pieds. Et Marseille était habitée par des Temsés. Impossible de raser Kehl sans buter tout le monde!
" Comment?" fut tout ce que je réussi à dire.
Il s'assit sur le bord du lit et se gratta le menton d'une main, l'autre tenait une cigarette roulée.
- Personne ne sait vraiment. Il paraît que tout a explosé. On voyait les images sur tous les écrans y'a pas une semaine. Une jolie boule de feu dans le ciel. Le seul hic, c'est que ça ne colle pas.
- Explique-moi. Je passerai sur le fait que tu ne me le dis que maintenant parce que je sais pourquoi, mais explique-moi.
Il eut le bon sens de paraître un peu gêné et se mit à parler. Je sentais des fourmillements dans mes mains, dans mon dos le long de ma colonne vertébrale. Mon instinct me disait que c'était important. La destruction de Kehl et de Marseille portait un sérieux coup aux deux peuples. Les Temsés avaient-ils sacrifié les leurs? Une évacuation aurait averti les habitants de Kehl… Je ramenais mes pensées sur ce que disait Simo.
- …l'explosion, alors Yoko a filé avec un enregistrement pour le soumettre à un de ses contacts, un monteur de première. Elle est revenue avec l'assurance du mec que c'était bidon, faux du début à la fin. Alors Je viens de l'envoyer se rendre compte par elle-même.
- Attend, attend. Tu dis que Kehl n'a pas explosé?
- Techniquement, non, dit-il en tirant sur sa clope. Mais le mec affirme que certains détails sont vrais. Qu'il y a bien eu explosion, ou destruction, mais que la grosse boule de feu qu'on voie, c'est un montage.
- Qui a filmé?
- Un journaliste quelconque, d'une chaîne assez connue. C'est un de leurs reporters de chocs. Ce n'est pas lui qui à fait le montage, je pense. Il est mort. Suicide. Ou du moins toutes les preuves l'affirment.
- Mouais. Il s'est fait buter, quoi.
- Selon toute probabilité, oui.
- Par qui? Le pourquoi est plutôt simple, si les images diffusées ont été trafiquées. Mais par qui?
- Aucune idée. Enne essaye de se renseigner discrètement, et on en saura plus dès que Yoko rentrera.
- Tu dis que tu l'as envoyée là-bas? Depuis combien de temps?
- Hier. Non, avant-hier. Deux jours.
Il me regarda en silence. Deux jours, nous le savions tous deux, c'était déjà beaucoup. N'importe quelle coquille la ramènerait ici instantanément. Deux jours. Qu'avait-elle bien pu voir là-haut?
Je ne comprenais plus rien. Ça n'avait aucun sens. Les évènements défiaient la logique, et les magouilles politiques que ça impliquait me hérissaient d'avance. Qu'est-ce qui profiterai à qui si les deux camps de cette guerre larvée disparaissaient? Je voyais des tas de gens capables de sacrifier quelques milliers d'humains pour tuer quelques milliers de Temsés en retour, mais aucun qui n'ait les moyens matériels et les contacts nécessaires pour le faire. Si… quand Yoko reviendrait, il faudrait que je lui demande si il y avait eu des survivants.
Rien de tel que de demander soi-même aux premiers concernés. Et, si par bonheur un ou plusieurs dirigeants de Kehl s'en étaient sortis, le Maire par exemple… J'aurais des questions à lui poser. J'avais été en contact, par le biais de Kaypel, avec pas mal des gros pontes de là-bas. Leurs noms et leurs visages m'étaient familiers. Possible aussi que ce soit pour ça qu'on avait essayé de tous nous éliminer. Kaypel n'aurait jamais accepté un tel sacrifice, si comme je commençais à le croire, tout ceci avait été ourdi dans les hautes sphères de Kehl.
Plus important, la ville en elle-même n'était pas une grande perte. Mais anéantir Kehl, c'était anéantir le symbole même de la Résistance. Moi qui n’étais dans cette époque que depuis une poignée d'années, ça ne me touchait pas tellement. Mais les gens de ce monde étaient en guerre depuis près de cinq cent ans. Ils avaient péniblement survécu, génération après génération, ils avaient combattus, été nés en état d'alerte et avait passé leur vie à se cacher, se battre, se débrouiller.
Aujourd'hui ils avaient repris en partie leurs droits sur cette planète, et défendaient leur identité, leur existence. Ils avaient dû accepter, bon grès mal grès, qu'ils n'étaient plus la seule race dominante de la Terre. Ils avaient eu foi en des symboles; Culla, Maman, Kehl ou même la sorcière Aessa, qui avait voyagé partout dans le monde à partir de 2335, à la fin du Massacre.
Encore une fois mes pensées revenaient au même point: Qui avait intérêt a faire ça? Je ne voyais aucune logique politique, ni de la part des humains, ni de celle des temsés.
Simo m'observait, les sourcils froncés. Ses réflexions ne devaient pas être très éloignées des miennes. Soudain, il se leva d'un bond, les yeux fixés vers la porte.
Enne se tenait là, avec son doux sourire habituel, un tee-shirt bleu et un pantalon noir tout simple. Du sang avait séché sur son visage, et un de ses yeux était fermé, violacé. Son haut avait été lacéré, et ne cachait plus grand-chose de son anatomie. Son pantalon idem. Malgré moi je sentis cette vision me faire de l'effet. Tous les hommes fantasment sur leur infirmière, du moment qu'elle est jolie. Mon inquiétude pour elle balaya cet élan.
Tronchard se précipita vers elle et la conduisit vers le lit, les yeux écarquillés, mélange de peur, de colère et de culpabilité. Je lui fis autant de place que possible tandis qu'il la forçait à se laisser examiner.
- Papa, papa, je vais très bien! Si, ça va, d'accord. Rien de cassé, juste quelques bleus et… enfin, rien du tout, termina-t-elle en baissant les yeux.
Simo tournait autour d'elle, affolé, bredouillant des débuts de questions qui s'interrompaient sur une exclamation chaque fois qu'il découvrait un nouveau bleu, une nouvelle entaille faite à sa fille. Il fallu que Enne lui prenne des mains le désinfectant qu'il avait laissé tombé trois fois dans sa hâte avant qu'il ne consente à s'asseoir et à la laisser s'occuper d'elle-même. Tout en appliquant du baume local pour ses contusions, elle expliqua.
"Papa m'a demandé de me renseigner discrètement sur Kehl et d'éventuels survivants. Vu les protections magiques dont la ville disposait, apparemment les Temsés n'ont pas pu la faire sauter. C'est forcément autre chose. Tout le monde le chuchote, mais personne n'ose le dire."
Elle reposa le matériel de soin et examina son œil dans un miroir tout en faisant la grimace. J'avais du mal à me concentrer. Ses formes très adultes m'asséchaient la bouche. Quand le corps parle, peu importe si le papa de la désirée est votre ami, et qu'il se trouve dans la pièce. Et je me rendis compte que la dernière femme avec qui j'avais passé la nuit était … pour le moins lointaine. Inconsciente de mon trouble, Enne continua.
"J'ai soigné deux ou trois personnes d'un milieu assez …fermé, gratuitement, et ils me devaient donc un service. Les quatre premiers ne savaient rien d'utile, mais le dernier…"
- Quoi donc? La pressais-je
- Eh bien d'après lui, il y a des troubles à Cloncurry, dans le Queensland. Là où est Maman. Il pense que ça a peut-être quelque chose à voir avec Kehl.
- Personne ne sait où est Maman. Déclara Simo d'un ton catégorique. Seulement le Conseil, et la Chambre des Mages.
- C'est bien pour ça que je ne remet pas en doute ce que j'ai appris de lui, rétorqua Enne, agacée. J'ai vingt-six ans, Papa. Je suis adulte, et je mène ma barque seule depuis longtemps. Je sais comment me débrouiller. Et puis, ajouta-t-elle avec un rictus, je n'ai pas appris que la magie curative.
J'étais impressionné. Avant d'approcher un membre du Conseil ou de la Chambre, il fallait se faire un nom, une réputation, et pas dans le mauvais sens du terme. Je la considérais avec un œil neuf. Tronchard se tu, et Enne poursuivi son récit.
"Mon…Informateur ne m'a pas seulement dit ça. Il a pris de très gros risques en me révélant si peu, déjà, que je ne voulais pas le presser trop. Apparemment, Maman fait des siennes. Elle ne veut plus rester cloîtrée pour notre bon plaisir. Quelque chose l'appelle, au-dehors, elle ne sait pas quoi. Pour l'instant ses… gardiens… ont réussi à la raisonner. Mais il craint que tôt ou tard, Maman finisse par … voler de ses propres ailes. Si les temsés la prenaient pour cible et l'abattaient, ce pourrait être dramatique. Beaucoup au Conseil sont persuadés que Maman est la seule chose qui empêche les temsés de nous envahir plus avant."
Elle soupira. "Nous en sommes encore à la consolidation de notre présence à la surface. Tout n'est pas au point. Si ils frappaient suffisamment fort au bon endroit, ce serait le retour immédiat sous terre, malgré la magie qui s'est développée au fil du temps. Ils ont les moyens de nous exterminer, si ils le veulent. Si ils tuent Maman."
Elle se recroquevilla, comme si cette idée seule lui ôtait tout espoir. "Je ne pense pas que ça en arrivera là, mais… Tout est possible. En tout cas mon informateur est certain que nous ne retiendrons pas Maman très longtemps. C'est un Dragon, après tout. Que pouvons-nous faire? Son organisme est unique, aucune drogue ou substance ne l'affecte, sinon le mana qu'elle absorbe."
- Et est-ce que ton homme sait pourquoi elle veut sortir? Demanda Simo d'un air préoccupé. Si elle veut juste se dégourdir les pattes…
- C'est une des choses qu'il n'a pas pu me révéler.
Tronchard se mit à faire les cent pas, sourcils froncés. J'en profitais pour m'absorber dans mes réflexions, en essayant de ne pas trop prêter attention à l'épaule nue de Enne qui se pressait contre la mienne tandis que nous étions assis sur le canapé.
J'avais trop souvent rêvé de dragons ces derniers temps pour prendre cela à la légère. Je commençais à soupçonner, derrière l'assassinat de mes amis, un plan plus étendu, plus large. En étant au service de Kaypel, j'avais eu accès à des informations classées secrètes. En recoupant tout ce que je savais… Je vis Tronchard arriver à la même conclusion au même moment : Nous n'en savions pas assez. Même en me creusant les méninges, je ne parvenait pas à distinguer le but de tout ceci, en admettant que ce soit lié, d'une manière ou d'une autre… Je regrettais la présence de Yoko, et sa logique incisive.
- Tout ça ne nous dit pas comment tu as fait pour te retrouver dans ce sale état, ma fille.
Tronchard… Non, Simo, il faudrait que je m'y habitue un jour, Simo s'était arrêté et regardait Enne avec l'air de vouloir lui mettre une fessée. Le contrecoup de la peur, j'imagine.
"Mon Informateur m'avait prévenue que je risquais d'avoir des ennuis si je venais le voir. Lui-même est en disgrâce, et étroitement surveillé. Je ne sais pas trop pourquoi. Je ne l'ai pas assez pris au sérieux, c'est tout."
- C'est tout?! Regarde toi!
- Rien de bien méchant. Une poignée d'hommes m'ont emmenée dans la rue, fourrée dans une voiture et emmenée dans un entrepôt désert, et ils ont …posé quelques questions.
Simo émit un bruit étranglé, et elle leva la main pour le rassurer.
- Dès que j'ai pu, je leur ai lancé un petit sort de ma connaissance, et je me suis enfuie.
Cette fois c'est moi qui avais fait un drôle de bruit.
"Tu est sûre de ne pas avoir été suivie? Et pourquoi ne leur as-tu pas échappé dès le départ?"
- J'étais bâillonnée. Ils ne savaient apparemment pas que je suis magicienne, et ils m'ont retiré le bâillon peu après le début de l'interrogatoire. Je suis sûre qu'ils ne m'ont pas suivi. J'ai tout simplement transféré.
- Ils doivent connaître ton adresse, il faut que nous partions tout de suite et…
- Cet endroit n'est pas mon adresse, me coupa-t-elle en riant. Me crois-tu bête à ce point? Non, j'habite pas très loin d'ici, mais personne ne sait où ce trouve cet endroit. C'est une bonne planque. J'ai perfectionné deux ou trois sortilèges qui nous rendent presque inatteignables à moins de savoir déjà où c'est. Aucune inquiétude à avoir de ce côté-ci.
- A Oxford aussi, on avait des sortilèges, grognais-je.
- Oui, mais pas d'aussi bons, avoua Tronchard. Elle dit vrai. Nous sommes en sécurité ici. Pour l'instant.
Le silence qui s'établi alors signa la fin de cette discussion, et Enne se précipita dans la douche dès que son père la laissa aller. Je soupçonnais qu'elle ne nous avais pas tout dit sur ce qui lui avait été fait, mais que ne ferait-on pas pour calmer l'inquiétude d'un père?

L'après midi même j'eus enfin le droit de me lever, et je parcouru péniblement la longueur de la pièce, le bras autour des épaules de mon infirmière. La douleur qui remontait tout le long de mon côté m'empêcha la gêne d'avoir à cacher mon émoi. Quand je m'affalai enfin sur le lit en grimaçant, Enne me donna un antidouleur très efficace. La douceur de ses lèvres et la chaleur de son baiser effacèrent la peine un bref instant.
Je passais mes doigts sur mes lèvres encore humide quand elle eu quitté la pièce en me demandant si ma loyauté envers Tronchard aurait du me faire me sentir gêné. Mais je ne ressentais que le désir. Comme elle le disait elle-même, elle était adulte depuis longtemps, quoique inexplicablement attirée par un vieux manchot de mon espèce. Le sommeil m'emporta sur cette considération.

Trois jours après, nous n'avions toujours aucune nouvelle de Yoko. Simo bondissait comme une puce enragée dans tout le petit appartement que j'avais récemment pu découvrir dans son entier. Je partageais son impatience, et son inquiétude. Il se rongeait les sangs, je le voyais bien. Si je n'avais pas été là, il aurait depuis longtemps volé au secours de sa douce geisha. Mais je l'exhortais à la patience. Yoko était tout à fait capable de se défendre, et je ne croyais pas qu'elle se soit fait descendre. En tant que membre de la B-Team, elle savait rester discrète et se terrer aussi longtemps qu'il le faut pour avoir des informations au lieu de revenir les mains vides. Ce qui ne nous empêchait pas d'être prêt à sauter à la gorge de tout le monde pour n'importe quoi.
Enne n'avait pas renouvelé l'expérience, et nos rapports étaient simples: j'étais son patient, et elle me soignait, avec le même soin qu'elle y avait mit jusque là. Peut-être que je me montais la tête quand je croyais l'entendre soupirer lorsque je passais mon bras autour d'elle pour ma promenade du jour, ou quand je lisais dans ses yeux le même désir brûlant qui se cachait dans les miens. Mais de toute façon, avec Simo à côté, nous n'aurions rien tenté je pense.
C'est la première chose qui me traversa l'esprit, j'ai honte de l'avouer, quand il déclara qu'il sortait pour la nuit.
"J'en ai assez de n'être informé que par la télé, ça ne raconte rien de ce qui se passe. On en sait encore moins en regardant ce foutu écran qu'en ne le regardant pas. Et je n'ai rien trouvé de mieux dans la Matrice."
- C'est toi qui ne veux plus que je sorte, je te signale, lui cria sa fille depuis la salle de bain. Sinon je pourrais sans doute trouver mieux que ça!
- Et c'est très bien comme ça. Toi, tu restes ici. Moi je vais faire un tour des bars voir si il n'a a rien de mieux.
- Faire le tour des bars?! Ici, à Chinhoyi?!
Elle venait de sortir de la douche, et seule une serviette couvrait son appétissante nudité. "Tu n'apprendra rien ici. Ce sont des fermiers, des éleveurs et des planteurs de tabac, Papa. Et une centaine de Gardes du Conseil. Ils ne sauront rien d'utile."
- C'est ça, sous-estime moi! Je ne vais pas passer la nuit à chercher des renseignements dans une petite ville perdue du Zimbabwe! Non, je monte à Sydney, et peut-être même à Madrid. Je peux peut-être faire d'une pierre deux coups, en me renseignant sur Maman et en cherchant la trace de Yoko.
- Elle ne sera pas à Madrid, objectais-je. Essaye plutôt Kehl directement, non?
- Pour ne pas savoir où je vais atterrir? Non merci. Et puis je sais qu'elle a quelques contacts à Madrid. Ça vaut le coup d'essayer.
- Fais attention à ne pas t'épuiser avec tes transferts. Ce n'est pas ta meilleure magie, et tu risques d'avoir à te défendre, dit Enne en retournant dans la salle de bain s'habiller.
-Oui, oui… Il leva les yeux au ciel et commença à marmonner le sort de Transfert.
"Fais attention à toi." Lui signifiais-je. Il me fit un clin d'œil avant de disparaître. L'air rempli la place qu'il avait occupée avec un léger woosh.

Si j'avais pu oublier un instant que je me retrouvais seul avec Enne, sa sortie de la salle de bain me le rappela. Gêné, je gardais le silence, ne sachant trop que dire. Elle ne se démonta pas, et comme si rien n'était, elle me fit marcher un peu, m'ausculta et nous fit à manger. Je ne savais pas si nous étions le soir ou le matin, et je m'en fichais un peu. Une fois notre repas avalé, le silence tomba. Nous restâmes ainsi, bêtement assis tous les deux sur le canapé, à ne rien dire. Elle me regardait, indéchiffrable. J'avais l'impression de lire dans ses yeux l'envie, l'attente, l'incertitude et la peur. Ses yeux passaient de mon œil doré à mon œil violet, ne sachant pas sur lequel se fixer.
Si elle attendait un signe de moi, je ne su pas lequel. Je me sentais pétrifié. Pas parce que son père était ami avec moi, ou parce qu'elle était un peu plus jeune que moi. Non, parce que je lisais la peur dans son regard. Peur de quoi? De moi? De son envie? De la mienne?
Alors, tout doucement, je l'ai attiré contre moi, de mon vrai bras. Je voulais sentir ses épaules, sa peau contre la mienne. J'ai senti sa crispation, puis le frisson de son dos quand elle s'est détendue contre moi. Elle me regarda, comme pétrifiée, et je me mis à sourire. Sourire de ma propre bêtise, et de ma propre audace. J'ai embrassé son front, et je l'ai regardée.
Je ne sais pas ce qui l'a décidée, mais j'ai brusquement senti ses lèvres, avides, sur les miennes, et ses mains qui parcouraient mon dos. J'avais souri parce que j'avais imaginé une rencontre pleine de fougue, de passion brûlante, de désir, et qu'elle avait l'air d'un petit oiseau blessé qui demanderait asile. Je souriais désormais car ses caresses étaient celle d'une amante indomptable et farouche, sauvage, sûre de sa force et de sa féminité. J'avais entre mes bras non plus l'oiselle mais la tigresse. Les yeux dans les yeux, nous nous laissâmes emporter.

La houle nous laissa pantelants, repus, fourbus. Couchés sur mon petit lit de malade, étroitement enlacés, nous nous endormîmes comme on meurt, avec abandon. Même les élancements de ma jambe m'épargnèrent, le temps d'une nuit.
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Message par Toron Mer 23 Mar - 18:33

that's nice =)
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Message par Louve Jeu 24 Mar - 18:53

CHAPITRE 5




Je me réveillais en sursaut au bruit de la porte qui se rabattait violemment contre le mur. Ebloui par la lumière, je discernais une frêle silhouette énergique se détachant à contre-jour. La voix de Yoko était froide et dure. Une voix de métal.
"Debout. J'ai des nouvelles." Puis "Je t'attends dans le salon," avec un regard significatif à la frimousse ébouriffée d'Enne qui émergeait des couvertures. Elle disparu dans l'embrasure, refermant la porte derrière elle.
Je me demandais quelles pouvaient être les nouvelles si urgentes qu'elle nous interrompe de cette façon, avant de réaliser qu'elle n'avait pas pu deviner que je ne serais pas seul. D'un autre côté, vu le petit espace dans lequel nous nous entassions depuis des jours, peu de choses avaient pu échapper à son attention. Ou à celle de Simo, aussi bien, me dis-je avec un grognement.
Enne se rhabilla aussi vite que moi, et dans le même silence. Seul le bref regard que nous échangeâmes avant de sortir laissa transparaître le souvenir de cette nuit. Je l'attirais par la taille alors qu'elle posait la main sur la poignée, et embrassais avidement ses lèvres. Elle s'accrocha à mon cou, répondant à mon ardeur. Un frisson nous parcouru tous deux quand je la tins un peu plus longtemps que nécessaire. La sensation de son corps chaud et souple contre le mien ravivait d'autres souvenirs, et son sourire se fit malicieux.
"Tu crois que ces nouvelles sont si importantes que ça?", lui demandais-je. Elle rejeta la tête en arrière et m'enlaça davantage.
- Pas de mon point de vue. Mais j'en connais un qui pense le contraire. Son bref coup d'œil à la porte et au salon juste derrière était éloquent. Je soupirais et la laissais aller. Elle me pressa la main une dernière fois avant de sortir, me tirant derrière elle.

Simo et Yoko se retournèrent d'un bloc à notre entrée. Les yeux de Tronchard étaient durs, mais sans surprise. Je n'y lu aucune condamnation, mais pas de bénédiction non plus. Un sourire joua un instant sur les lèvres de Yoko avant qu'elle ne redevienne sérieuse. Les sourcils froncés, elle s'assit, nous invitant d'un geste à faire de même.
"Ça risque d'être long", dit-elle en guise d'explication.
Nous nous installâmes puis, incapable d'attendre plus longtemps, je demandais:
- Alors, quelles nouvelles?
- De mauvaises nouvelles, j'en ai peur.
- Raconte.
Elle prit une inspiration.
- Tout d'abord, il ne reste plus rien de Kehl. Quand je dis rien, c'est rien. Personne n'a survécu. Même pas le Maire ou ses affidés. Même Trent y est resté.
Ce qui veut dire qu'il n'est pas dans le coup, ce que j'avais cru en premier lieu, pensais-je.
"Ou c'est qu'ils se sont si bien planqués que la moitié de l'Espagne qui les recherche, puissants comme mercenaires, ne les a toujours pas trouvés. Et moi non plus. Ceci dit je ne crois qu'ils en aient réchappé d'une façon ou d'une autre. Parce que c'est bien plus grave que ça. L'Europe est en ébullition. On croirait que la Guerre du Monde a recommencé", dit-elle avec un frisson.
Je fronçais les sourcils.
- Comment ça?
- Eh bien partout à la frontière, des tas d'imbéciles montent des expéditions punitives en territoire temsé. Ils recherchent la vengeance pour leurs morts, et ils foncent dans le tas. Mais comme la plupart ne sont pas entraînés ni équipé, c'est un vrai massacre. Et quand eux ne reviennent pas, leurs amis y vont à leur tour, etc… J'ai peur que ça ne fasse boule de neige, et que la Guerre se déclare une fois de plus."
"J'en viendrais à plaindre les temsés, dit-elle avec un air consterné. Ils ont été aussi durement touchés que nous, et en plus ils sont obligés de repousser des idiots sans cervelles qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Non, ne m'interrompez pas, dit-elle à l'adresse de Tronchard qui avait ouvert la bouche avec un air interrogateur. Autant que je dise tout ce que je sais tout de suite, on en discutera après."
Ses mains crispées sur les accoudoirs se détendirent tandis qu'elle inspirait profondément. Elle continua.
"La deuxième chose importante, c'est que j'ai parmi mes contacts des gens… Peu scrupuleux, on va dire, qui font du commerce avec les Temsés.
Absolument rien d’étonnant à ça. J'avais une ou deux fois été témoin de ce genre d'échanges. Pas de quoi fouetter un chat. Toutes les nations faisaient du commerce entre elles, et il était logique qu'avoir adopté la même monnaie que les temsés favorise un but de ce genre. A l'époque où la survie des hommes était encore incertaine, il avait bien fallu prévoir des plans de rechange. Des fois que.
"Enfin bref, Kailar m'a dit que les temsés avaient prévenu un mois plus tôt qu'il n'y aurait plus d'échanges sur toutes les frontières R'niannes. Il avait l'air terrifié. Si ça se sait, il sera lynché. Ceux qui le connaissent croiront qu'il aurait pu empêcher ça et ne se priveront pas pour l'en convaincre aussi."
"D'après lui, poursuivit-elle, les lézards savaient qu'il allait se passer quelque chose, mais il est sûr qu'ils ne sont pas entièrement responsables, sinon ils auraient au moins évacué les pontes de Massilia. Mais je suis allée faire un tour près des ruines. Impossible d'approcher, les temsés ratissent le secteur, et ils n'y vont pas de main morte. Périmètre ultra surveillé, soldats et lasers au poing. Des équipes de fouisseurs creusent le sol. Je pense qu'ils sont en pleine opération de sauvetage, ou de récupération. Y avait un tas de papiers importants pour tout le monde, là-bas."
Soudain, Simo se leva et commença à faire les cents pas, comme c'était son habitude chaque fois qu'il réfléchissait. Yoko le regarda un moment avant de poursuivre. Moi-même je réfléchissais intensément.
"Sphinx, j'ai vu au moins sept couleurs différentes, là-bas, même s'ils les cachaient. Leur problème, c'est qu'ils sont trop cérémonieux. Ça nuit à leur discrétion. Quoi qu'ils recherchent ou essayent de cacher, c'est très important pour eux. Ça mérite qu'on s'y intéresse."
Je poussais un grognement qui n'engageait à rien. Je réfléchissais. Les temsés avaient un code de couleurs, parmi eux, pour reconnaître les pays. Les Peuples, comme ils disent. Ils ne donnent de noms qu'à leurs villes à proprement parler. Quand je dis que Hur'rlug est le Président de R'nia, ce n'est qu'une grossière adaptation. Le titre officiel serait "Grand Slinejah du Peuple Bleu de R'nia". Un Slinejah est un dirigeant politique. Les dirigeants militaires sont appelés des Okiris, je crois. Leur hiérarchie est assez semblable à la nôtre, mais comme le disais Yoko, ils sont trop portés sur la cérémonie. Ils ont des tas de codes d'honneurs et de conduites, des règles de société en pagaille.
Je savais peu de choses sur les temsés, comparé à certains, mais pas si peu que ça. Assez, en tout cas, pour me rendre compte de l'importance que prenait cette information.
Les Temsés ne sont pas particulièrement altruistes. Ils s'aident rarement les uns les autres, sauf contre un ennemi commun. Surtout pour une chose aussi futile que déblayer des ruines. Ils nous ressemblent beaucoup sur certains points, pas vrai?
Le fait que pas moins de sept Peuples, ou pays, soient impliqués dans cette affaire était stupéfiant. Qu'il se trouve dans une ville de cette importance des dossiers compromettants la sécurité nationale de R'nia toute entière était logique, mais si cela les touchait mondialement
Je me demandais ce que ça pouvait cacher. Yoko disait qu'ils avaient tenté de dissimuler le fait que tant de Peuples se sentaient concernés par cette affaire. Ça pouvait être important, mais j'avais beau me creuser la tête, je ne voyais rien qui pouvait justifier une telle mobilisation de leur part. Je ne m'étais pas assez renseigné sur eux, voilà tout. Et, de plus, ma priorité était de trouver les assassins de Kaypel, et de ma douce Cämye. Avais-je déjà oublié leurs visages? Avais-je déjà oublié ma propre vengeance? Non, décidais-je. Je les vengerais. Coûte que coûte.
On m'avait pris la seule famille que j'ai jamais eue. On avait assassiné les seules personnes qui m'avaient si totalement accepté. Et je n'avais encore rien fait. A cause de cette maudite blessure, j'avais perdu un temps précieux. Les rares personnes que je soupçonnais ou que je croyais partiellement impliquées étaient mortes, ou en fuite. Il me restait bien peu de pistes, voire aucune. Les militaires qui nous avaient attaqués auraient pu venir de n'importe quelle ville. Ils pouvaient être des mercenaires, d'anciens militaires louant leurs services aux plus offrants, ce n'était pas rare. Par tous les Dieux jamais imaginés, pour autant que je sache, le Conseil lui-même pouvait avoir donné cet ordre.
Je me remémorais le rire grave de Kaypel, sa manière de toujours jouer avec les boutons de sa chemise quand il n'était pas sûr de lui. Les fossettes de Cämye quand elle riait. Sa façon de nous regarder, Kaypel et moi, à la fois amusée et réprobatrice quand, suite à un excès de bières, nous nous mettions à chanter aussi faux l'un que l'autre. Ses doigts agiles qui courraient sur le clavier. Kaypel qui mangeait toujours le poulet en commençant par les ailes. Ou qui faisait des grimaces à Cämye pour la faire rire quand elle avait une discussion sérieuse au téléphone. Je me rappelais leurs yeux, quand ils se regardaient. Je me rappelais les sourires qu'ils me dédiaient, et les taquineries de Kaypel sur ma vigilance permanente. Les sourcils froncés et la bouche pincée de Camille quand elle était en colère, et sa façon de poser la main sur votre front quand on était malade.
Je me rappelais mes amis et je sentais la colère, la tristesse, l'envie de meurtre et de vengeance bouillonner en moi. Les temsés pouvaient bien aller se chatouiller les appendices où ils voulaient. Tout ce qui m'importait, c'était eux. Et leur souvenir qui me brûlait les yeux.

Je sentis une main légère sur mon bras. Enne me regardait, l'air interrogateur et soucieux. Je forçais mes muscles à se détendre et secouait la tête. Me laisser aveugler par la colère ne mènerait à rien. Je demandais à Yoko:
"Et pour Kaypel et Cämye? Qu'as-tu trouvé?"
- Rien, avoua-t-elle avec réticence. Rien du tout. Toutes les pistes s'arrêtent à Kehl.

Tronchard, qui faisait toujours les cents pas de son côté, s'arrêta brusquement et renifla.
"Les Temsés! Des temsés à Fregnel, des marchands temsés qui désertent les frontières un mois avant la destruction de Kehl, des temsés qui fouillent dans les décombres, des temsés, et toujours des temsés! On n'en voit pas la queue d'un en plus de quarante piges, et voilà qu'on entend plus parler que de ça!"
Il se remit à marcher de long en large, sa longue mante de chanvre noire volant derrière lui. D'un ton agacé, je dis:
"Quel rapport avec l'autre jour, nom de dieu?"
- Essaye de voir plus loin que le bout de ton nez, grand chef, rétorqua Yoko amèrement.
Je restais coi. C'était la première fois qu’elle me rembarrait.
"Avant que tous nos amis meurent, dit-elle avec colère, nous étions tombés dans un piège. Avec des temsés, et même deux soldats, si il faut te rafraîchir la mémoire."
Je me sentais piteux. Obnubilé par mon propre chagrin et mon attirance pour Enne, je n'avais pas songé une seconde qu'eux deux aussi avaient perdu des êtres proches. Des gens qu'ils côtoyaient tous les jours et avec lesquels ils avaient risqué leurs peaux. Entre les mains desquels ils avaient déposé leurs vies. Je baissais les yeux, mais avant que j'aie pu formuler la moindre excuse, Yoko soupira et se passa les mains sur le visage d'un air las.
"Je suis désolée, Sphinx. Je n'ai pas beaucoup dormi, ces derniers temps. Et je crois que ça influe pas mal sur mon humeur."
"Et puis cet idiot, dit-elle en portant sur Tronchard un regard tendre, a failli me faire faire une crise cardiaque tout à l'heure. Alors que je me disais que j'allais trouver une coquille pour rentrer, il a déboulé dans la taverne est s'est mit à me brailler dessus, comme quoi vous vous faisiez un sang d'encre pour moi, et tout et tout."
Puis en se tournant vers Enne, un sourcil levé et un demi sourire aux lèvres: "Mais je vois que vous avez réussi à vous occuper l'esprit pour vous distraire de cette terrible inquiétude, pas vrai?"
J'entendis vaguement Simo renifler de nouveau, plus violemment, quand à ma surprise Enne piqua un joli fard. Elle jeta un bref coup d'œil à son père et se leva précipitamment.
"Bon! Est-ce que quelqu'un à faim?" Ceci dit d'une voix forte à la cantonade.

Les femmes sont bizarres, pensais-je. Capable de vous chasser comme un aigle sa proie, et de vous dévorer sans le moindre scrupule, puis rougissantes comme des jeunes midinettes. Pas toutes, dus-je reconnaître intérieurement. Mes yeux la suivirent tandis qu'elle s'éloignait d'une démarche vive et déliée. Pas elle.
Je me secouais mentalement. Ne me manquait plus qu'une amourette, par-dessus le marché. Certes ç'avait été agréable, et ça le serait sans doute encore, mais elle comme moi savions ce que nous voulions. Rien de plus que de bons moments, un peu de tendresse et de complicité. Rien d'autre.
Mes yeux glissèrent sur le petit sorcier, qui regardait maintenant de mon côté, et je cherchais soudain quelque chose à faire ailleurs, loin, dans une autre pièce. Quelque chose d'urgent.
Ma réaction d'adolescent failli me faire sourire, si Tronchard n'avait pas risqué de mal l'interpréter. Je me contentais de soutenir son regard. Nous étions entre adultes. Entre amis, me rendis-je soudain compte. S'il avait quelque chose à dire, il le dirait. J'assumais mes actes.
Il soutins mon regard avec ce que je cru être de la résignation dans les yeux, puis leva les bras au ciel en silence et partit vers sa chambre avec un grognement. Je regardais Yoko, et elle pouffa comme une gamine. Je haussais les épaules.
"Parfois, Les voies des petits sorciers acariâtres sont impénétrables, mon frère", dit-elle d'une voix solennelle.
J'entendis Enne éclater de rire dans la cuisine.

Je repensais aux paroles de Simo. Pas la queue d'un en plus de quarante ans n'était pas la meilleure façon de définir la chose, mais la cohabitation forcée fonctionnait très bien depuis 2489. Des relations commerciales s'étaient établies. Une paix armée.
Si les temsés décidaient qu'il valait mieux raser l'Europe que de se laisser harceler par des mécontents, nous étions sans doute foutu. Nous, les humains.
Les savants, scientifiques et experts de tous poils s'étaient longtemps penchés sur la question de l'adaptabilité du temsé, et ils en avaient tiré des conclusions. Les dernières études effectuées dataient de 2480, à peu près, quand l'humanité était enfin remontée au soleil de ses ancêtres.
Leur croissance démographique, dans les années 2200, présageait l'extinction totale de la race humaine à plus ou moins longue échéance. Mais, on ne savait trop pourquoi, au lieu de nous éradiquer, ils se sont contentés de s'établir là où ils étaient. La recolonisation de la surface avait plutôt ressemblé à une invasion des territoires inoccupés. Peu de batailles s'en étaient suivies. Ils nous avaient gracieusement laissé la jouissance des terres les plus arides.
La surface du monde avait changé, depuis 2007. Un nouvel écosystème, regroupant anciennes et nouvelles espèces était né, équilibrant de nouveau la faune et la flore que la pollution humaine et la Guerre du Monde avaient mises en péril.
Si toute pollution atmosphérique –Ou presque – avait cessé depuis près de 500 ans, les effets se faisaient encore ressentir sur toute la surface du globe. La fonte des glaces avait sérieusement ralenti, et un nouveau climat s'était établi.
Nous nous servions des cellules M avec prodigalité. Une nouvelle philosophie écologique mondiale avait vu le jour. L'homme et les temsés avaient su tirer parti des erreurs du passé. Nous ne polluions plus comme avant, avec insouciance. L'IMT cherchait encore le moyen de rendre inoffensives les tonnes de déchets toxiques et nucléaires que nos ancêtres avaient laissés derrière eux. Stockés sur le continent sud-américain depuis 300 ans, ils ne gênaient personne mais continuaient à dégrader l'environnement et à provoquer des mutations toujours plus importantes sur la faune et la flore locale, ce qui passionnait beaucoup nos chercheurs.
Certes l'Amérique du nord était perdue, de toute façon. Toutes les missions d'observations envoyées n'étaient jamais revenues, même les mieux prévenues, et les mieux équipées. Seule la sorcière Aessa avait réussi à faire la traversée, pour en revenir à moitié folle, et délirant sur les poches de virus et de gaz divers qui parsemaient la continent Nord-Américain. Ce qui était impossible, car les vents qui parcouraient le globe auraient amené tôt ou tard certaines de ces poches chez nous. Nous l'aurions su. Toutes les sondes et tous les relevés montraient un paysage mort sur des centaines et des milliers de kilomètres, parcourus de crevasses et d’activités volcaniques aléatoires.
Mais c'était les dernières nouvelles que nous avions. Avec la certitude que l'Amérique du Sud, elle, n'était pas perdue, mais hautement dangereuse. Le Conseil et la Chambre avaient proclamé une loi qui interdisait d'y habiter. Ou même de s'en approcher. Une loi qui datait du retour d'Aessa, plus de 200 ans auparavant.
La cohabitation entre les lézards et les hommes s'était donc établie sans trop de problèmes, et je me demandais ce qui poussait les temsés à faire parler d'eux. Tout le monde croyait –C'était la rumeur – que les temsés s'occupaient de coloniser l'Amérique, ou du moins essayaient. Et nous étions tout prêt à leur laisser. Entreprise qui aurait dû les occuper encore une cinquantaine d'années, au moins. Avaient-ils rencontré des problèmes? Avaient-ils changé d'avis? Leur croissance démographique les forçait-elle à nous envahir de nouveau? L'humanité était-elle condamnée à finir ses jours sous terre?
Je rageais après le manque d'informations. Aucune étude sérieuse de la population temsé ou de sa croissance n'avait été faite depuis près de 150 ans. Nous ne savions rien d'eux, en tout cas rien d'utile. D'un côté comme de l'autre, excepté les échanges commerciaux, la frontière était hermétique.
Je supposais que le Conseil en savait bien plus qu'il ne le disait.
Nous savions qu'ils se divisaient en Peuples qualifiés par différentes couleurs, gouvernés par un Slinejah et un Okiri. L'Okiri était toujours une femme, de cela nous étions sûr, mais le reste de leur fonctionnement restait obscur. Ils utilisaient les cellules M que nous leur fournissions, par souci d'écologie. Ils fabriquaient de meilleurs AG que nous, étonnamment.
Au début ils avaient rouvertes les centrales humaines, adapté leur fonctionnement à leurs besoins, ils avaient produit trop, et gâché. Ils avaient établi des démocraties, qui s'étaient effondrées. Puis ils avaient voulu nous exterminer, et avec notre Repli Général, ils avaient découvert que nous abandonnions derrière nous les fruit d'une technologie plus adaptée, plus utile. Je pense qu'ils ont alors beaucoup réfléchi, et que si ils nous ont laissé tranquille, c'était par intérêt.
L'apparition de la magie nous avait sauvé. Grâce à elle nous avions pu mettre au point cette énergie renouvelable et non polluante, et surtout, primordialement, extrêmement bon marché, qui n'aurait jamais vu le jour sinon. Pour des raisons économiques, probablement.
Grâce à elle nous avions crée la Matrice. Culla. Le Voyage dans le Temps. Les Coquilles. Les lasers. Nous avons fait un bond fabuleux en avant, et les temsés ont dû comprendre que nous pouvions, au fil du temps, trouver des solutions à leurs problèmes. Je pense qu'ils nous observaient, cobayes ignorants de leur intérêt, et apprenaient.

Jusqu'à très récemment, ils étaient restés si discrets que les nouvelles générations pensaient presque que nous n'avions plus rien à craindre. Oh les mères continuaient d’élever leurs enfants dans la crainte et la haine de ces cousins reptiles, mais ils commençaient à prendre autant de tangibilité que le croque-mitaine pour tous ceux qui ne vivaient pas sur les frontières. Selon certains, les Temsés avaient atteint leur stade maximal d’évolution, et fatalement, nous n’avions plus rien à craindre. Je l'espérais, mais qui pouvait en être sûr? Qu'ils ne nous aient pas anéantis quand ils en avaient l'occasion ne prouvait rien. Peut-être avaient-ils simplement pris le temps de se ressaisir. Leur soudaine réapparition pouvait tout signifier. Ou rien du tout.
Qu'y avait-il eu de si important à Kehl pour qu'ils sortent de leurs pays? Comment avaient-ils pu en arriver à pactiser avec les hommes pour autre chose que des denrées utiles?
Yoko m'avait rappelé que les temsés que nous aurions dû surprendre nous attendaient, et bien armés. Comment avaient-ils pu être au courant. Qui, parmi les dirigeants humains, avait pu les prévenir? Qui en avait intérêt?

Je poussais un grognement de frustration. J'en aboutissais toujours aux mêmes questions. Les temsés étaient la piste la plus évidente. La seule, à vrai dire. Une piste que je n'avais pas envie de suivre. Elle était trop ténue, trop farfelue.
Restait toujours le Jack, mais je ne croyais pas que nous trouverions quoi que ce soit à son sujet. Les seuls contacts que nous lui connaissions étaient à Kehl. Les contacts de Kaypel. Ses papiers, qui m'auraient grandement servi. Ceux de Cämye, de Shooter, de Foutredieu ou de Benji.

"On en reviens toujours à Kehl, pas vrai? Demandais-je d'un ton désabusé. A Kehl et aux Temsés."
Yoko, l'air grave en face de moi, approuva en silence. Je savais ce qu'elle attendait que je dise. C'est la meilleure solution, la seule. Mais je ne voulais pas. Je ne voulais pas m'embarquer là-dedans Venger mes amis, d'accord. Devenir un paria, un homme traqué, ne me dérangeait pas. Ça n'aurait pas été la première fois. Mais l'inconnu fait peur, et je ne savais pas dans quoi nous allions mettre les pieds. Mais je n'allais pas laisser cela m'empêcher de faire ce que je devais. Je pris une inspiration, et j'appelais Simo et Enne. Quand ils furent tous devant moi, l'air attentif, je les regardais un instant. Puis, j'énonçai l'évidence.
"Demain, nous irons à Harregan. Je veux découvrir ce qui ce passe à Kehl. Ou ce qui s'est passé."
- Je connais deux ou trois personnes là-bas qui pourront vous aider. Je vous donnerai les adresses, vous n'aurez qu'à dire que c'est moi qui vous envoie. On vous répondra.
Enne me regardais. Je hochais la tête. Si elle avait voulu venir, je m'y serais opposé de toute façon. Mais son aide nous serait encore une fois précieuse.

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Message par Louve Sam 26 Mar - 12:20

CHAPITRE 6




Nous avons débarqué par des Coquilles sales et plus taguées que les murs. Nous savions où aller. Enne nous avait donné quelques adresses utiles, mais Simo et moi avions une connaissance en commun. Le genre de personne qu’il est à la fois utile et dangereux de connaître.
L’homme que nous venions voir était l’éminence grise du Diable en personne, rien d’autre. On le connaissait sous le nom du Pacha. Nul ne savait rien de plus. En tout cas, personne de vivant. Son Domaine était situé juste à la lisière de la Bulle, avec vue sur la Tamise et ses remous toxiques. Les poissons qu’on voit nager dedans n’ont plus rien des poissons traditionnels, et sont en grande partie carnivores. Très pratique pour se débarrasser d’un corps, non ?
J’avais eut affaire à lui une fois. C’était suffisant pour savoir qu’il vendait cher ses informations et ses services. Qualité assurée, cependant. C’était la seule chose qui m’y menait aujourd’hui. Je tiens à ma vie. Je ne savais par contre absolument pas pourquoi Simo le connaissait. Mon petit sorcier n’était pas un gros méchant, juste une grande gueule.
La ruelle dans laquelle nous nous étions engagés ne semblait pas différente des autres qui la recoupaient, pourtant dès le premier pas dedans, tout bruit extérieur cessa brusquement. Nous venions de pénétrer dans la Bulle d’Harregan, anciennement Londres.

D’habitude, les enflures dans son genre aiment les palaces, le luxe, qu’on voit bien que c’est eux les puissants. Lui avait élu résidence dans un immeuble moche et en ruine. Tandis que nous approchions de la porte cochère, je me mis à suer. Nous avions une chance sur deux. Soit il serait intrigué et nous pourrions entrer, soit il déciderait que nous n’étions pas les bienvenus. Et là, ou nous repartions bredouilles, ou le plus loin que nous irions serait l’autre côté de la rue sous la forme d’un amas sanguinolent de chair. Nul ne sous-estimait plus ses charmes de défense.
On n’a même pas eu besoin de frapper, la porte s’est ouverte toute seule à notre approche. Bon, au moins nous aurions une chance de discuter. Nous avons mis les pieds dans un couloir sombre et sordide qui sentait autant l’urine que le cadavre en décomposition, ce qui me fit remercier le ciel que la lumière ne marche plus. Le noir est devenu complet quand la porte s’est refermée derrière nous, mais tout de suite après j’ai entendu un déclic, et un rai de lumière à filtré d’une porte un peu plus loin. J’ai reconnu la voix du Pacha qui nous disait d’entrer.
Par pur contraste, j’ai cru pénétrer chez Ali baba. Des tas de petites lumières flottantes magnétiques irradiaient la pièce d’un ton rouge ocre. Des tentures pendaient de partout, et de gros coussins recouvraient le sol. Deux filles quasiment nues et couvertes de morsures tétaient un fumoir d’opium, les yeux mi-clos. Elles n’ont pas réagi à notre arrivée. Au milieu d’elles, le Pacha se tenait assis, et nous regardait de ces yeux rouges que finissent par avoir tous les adeptes de l’Ifquah.
C’est une plante mutante. Elle augmente les perceptions et développe les pouvoirs psys, mais elle aveugle peu à peu les accros qui la consomment. On ne peut pas tout avoir.
Sa figure de bouddha jovial et luisant démentait la noirceur de son âme. Une main fouillait négligemment entre les cuisses d’une des filles, qui gémit, et l’autre caressait les seins pleins et mous de la deuxième. Il eut un geste obscène en direction de Yoko qui grimaçait et nous demanda avec un grand naturel la raison de notre venue.
Nous étions venus chercher des informations sur Kehl, principalement. Qui, Pourquoi et Comment. Je l’espérais un minimum renseigné, ou nous aurions perdu notre temps.
- Je peux vous dire Comment, même si vous ne me croirez pas. Le Pourquoi, j’ai des… suppositions. Mais, Qui, ça j’en sais rien. Enfin c’est un peu la même chose que le comment, répondit-il avec son grand sourire en abandonnant la culotte de la fille pour téter l’opium. Toujours partant ?
Je consultais les autres du regard, y lisant la même chose que ce que je pensais. N’importe quelle bribe d’info vaudrait toujours mieux que ce marécage où nous pataugions depuis trop longtemps. Restait à définir le « prix », ce que le Pacha ne se priva pas de nous faire savoir, avec un grand sourire.
Je manquais exploser quand j’entendis son offre.
- Même pour tes tarifs, c’est un peu surévalué, non ?
- Oh, tu sais, les fluctuations du marché… C’est une info qui vaut de l’or, en ce moment. Je ne vais tout de même pas me ruiner pour vous trois, non ?
Il pencha la tête avec un air à la fois pathétique et insolent. Il se foutait de notre gueule, et nous n’étions pas vraiment en mesure de marchander. Il reprit, tandis que nous réfléchissions :
- J’ai bien une ou deux alternatives, mais je doute qu’elles vous plaisent. Par exemple, vous apportez avec vous une denrée de choix. Il reluqua Yoko. Celle qu’on surnomme la Poupée de Mort. Je saurais quoi faire d’elle, si vous me la confiiez pour une soirée… Bon, bon, autre chose alors, s’esclaffa-t-il en jetant un coup d’œil à nos tronches scandalisées, et à celle, meurtrière, de Yoko.
Je sentais venir la suite. Il était de notoriété publique dans les sphères influentes que les meilleures soirées, c’était chez le Pacha qu’on les faisait. Et il y garantissait la plus grande décadence. Vente d’esclave, de démons familiers liés magiquement à leurs acheteurs, orgies, partouzes, drogues, armes high-tech et bio modifs, mutagène LOTO, comme ils l’appelaient, qui était une énorme roulette russe. Soit on supportait le mutagène et on finissait avec trois bras, des yeux sur les fesses, des oreilles supra performantes, de la salive acide ou que sais-je, soit on mourrait purement et simplement. Puis, plusieurs fois par semaines, l’Arène. Comme au bon vieux temps. Des champions, du sang, des mises à mort. Sauf que lui remettait au goût du jour. Et son grand rêve, son ambition la plus folle, c’était d’arriver à incarner un démon dans un corps. Et l’apprivoiser. Flippant.
C’est pour ça que régulièrement, il forçait une de ses esclaves ou une de ses putes à se donner à un démon, en général après l’Arène. Et si le démon avait vaincu le champion, encore mieux. Aucune de ces grossesses n’avait été portée à terme pour le moment, mais ce n’était qu’une question de temps. Maintenant qu’il avait pu prouver que la fécondation était possible, rien ne l’arrêterait.
Je sentais venir le truc pas net, et je n’avais aucune envie de féconder une démone, aussi charmante soit-elle, ni même de risquer ma peau contre les pires montres de la mutation pour son plaisir sadique. Je ne m’étais pas renseigné plus avant sur les mœurs de Tronchard mais je ne le croyais pas tordu à ce point.
Mais d’un autre côté, je n’avais rien d’autre à marchander que ma peau. On appelle ça « payer de sa personne », non ?
Son offre vint évidemment. Une soirée dans l’arène à jouer le champion, et soit il nous disait tout, soit il racontait au deux survivants éplorés ce qu’il savait. Encore une fois on s’est regardé, pour confirmer ce qu’on pensait. Avec Kebel, disparus nos fonds monétaires quasi-inépuisables, nos comptes en banques avaient plus que sûrement été vidés par nos assaillants, ainsi que nos ID effacées de la Matrice, et tous nos pécules personnels disparus. Il allait falloir jouer le jeu, et Tronchard était, pardonnez l’expression, une bite en combat rapproché. Et même si je n’aurais jamais parié sur mes chances face à Yoko, il me répugnait de l’y envoyer. C’était ma mission, ma vengeance, ma responsabilité. Egoïste, sans doute. Mais elle ne se proposa pas. Elle me connaissait bien, au bout du compte.

Il ne fut pas surpris de voir que nous acceptions son offre. Quel choix avions nous ? Si ça lui chantait il pouvait bien nous y forcer tous les trois et ne rien révéler en retour. Nous étions à sa merci. Et je crois avoir réussi à vous faire comprendre qu’il n’en avait aucune.
Il se passa ensuite une chose assez étrange, du moins à mes yeux. Yoko et Simo avaient décidé de m’attendre dans un hôtel,(en déclinant la généreuse offre du Pacha de loger chez lui), dans trois jours au plus tard. Au moment de partir Simo se retourna brusquement et plongea son regard dans les pupilles rouges du Pacha.
- Veilles à tenir ta parole, Pacha. Dans trois jours, s’il n’est pas là, c’est nous qui viendrons.
Et, chose curieuse, le Pacha n’a rien dit. Rien fait. Il ne s’est pas moqué, comme il aurait dû le faire devant la menace proférée par un sorcier de second ordre face à son pouvoir et son organisation. Il s’est contenté de le fixer sans sourciller, et de hocher la tête. Je ne pus y déchiffrer le moindre message, mais sans doute y en avait-il un car Simo se détourna et sortit, suivi par une Yoko qui me fit un petit signe, entre l’au revoir et le perplexe. Se pouvait-il que mon petit rat acariâtre soit plus qu’il ne le prétendait ? Il ne serait pas le seul à cacher des choses. Pour tout le monde sauf Kebel et Camÿe, je suis né à Kehl il y a trente ans de ça, en 2516, délaissé par une mère junkie, sans père, élevé dans la rue et recueilli par Kebel. Après tout, tout est vrai sauf le lieu et l’époque.

Le Pacha ne s’est pas embarrassé de moi. Sur un : « Je te verrais ce soir pour tout t’expliquer. », il a claqué des doigts et une espèce de gros malabar en costume cuir et sandales de vrai gladiateur est apparu. Il faisait pas loin de deux mètre et un bon quintal, chauve, recouvert sur l’exacte moitié du corps de tatouages runiques d’un rouge luminescent. Ils irisaient à chaque mouvement. Il aurait pu hypnotiser quelqu’un rien qu’en faisant rouler ses muscles. Un mi-homme de lumière. Impressionnant. Je serais chagriné si je devais apprendre qu’il serait un de mes adversaires.
Il a fait « Grompf », ou un truc du genre, avec un signe de tête m’invitant à le suivre. Gentiment, j’ai obéi. Quand on tombe dans le cliché à ce point dans ce milieu c’est qu’on a des talents cachés. Autant qu’ils le restent. Il me fit prendre un ascenseur, qui descendit très profond, et me mena dans l’unique corridor jusqu’à une porte latérale. Il ouvrit la porte, m’invita à entrer et referma derrière moi.
J’avais rarement eu droit à un logement aussi somptueux depuis ma traversée. Le lit était moelleux, les draps propres, les meubles laqués. Sur une table une corbeille débordait de fruits. De vrais fruits, rutilants, croquants. Hydroponiques, bien sûr, mais tout de même. Au moins le Pacha traitait bien ses condamnés. Non pas que je me voie déjà mort, mais je ne sous-estimais pas ce que j’aurais à affronter.
Je continuais à faire le tour des appartements qu’on m’avait provisoirement alloués. Cinq portes partaient de la chambre où je me trouvais. La première donnait sur une salle de gym très complète, la deuxième sur une penderie hallucinante, remplie de vêtements de toutes tailles et styles. La troisième donnait sur un jardin intérieur, très calme, avec des chants d’oiseaux et le glou-glou d’une fontaine. La quatrième était une médiathèque assez complète, elle aussi, avec lecteurs d’holos et de bibliopuces, connexion à la Matrice, tout le toutim. La cinquième m’a réservé la meilleure surprise. Je l’ai ouverte pour trouver deux beautés en tenue d’Eve qui barbotaient dans un grand bassin d’eau chaude. Elles me firent des signes d’invite, et, ma foi… Je ne suis qu’un pauvre mâle si faible face au péché de chair… J’ai refermé la porte et il s’est passé un bon moment avant que je ne recommence à penser consciemment. Le Pacha traitait décidément très bien ses jouets.

Quand j’ai émergé du trou noir, les filles avaient disparues, et un grand escogriffe au nez en bec d’aigle me scrutait de ses yeux de rapace. J’eus une bête réaction pudique et tirait le drap pour me couvrir, surpris. Il eut un demi-sourire froid, comme amusé. J’étais curieux, mais je m’habillais sans rien dire, et attendis qu’il parle. Nous formâmes un drôle de tableau, sans doute. Lui dans un fauteuil, assit très droit, les mains jointes par le bout des doigts devant lui, me détaillant. Moi assis négligemment sur le lit, essayant de soutenir son regard d’acier, me tortillant quelque peu, j’en ai peur. Je ne sais pas combien de temps le silence à duré, mais sans doute pas loin d’une demi-heure.
Je tentais désespérément de deviner le fond de ses pensées. Qui était-il ? Pourquoi venir ainsi pour ne rien dire ? Essayait-il de me rendre nerveux ? Opération réussie, en ce cas. Je le passais en revue, lentement. Un visage anguleux, une vague forme d’ampoule pour le crâne, recouvert de cheveux drus et noirs, coupés court. Un long corps maigre mais pas fragile, plein de souplesse et de vivacité. Il connaissait et maîtrisait très bien son corps, je pouvais le voir à son maintient. Il avait l’air très jeune, mais ses yeux démentaient son âge apparent. Serait-il un de mes futurs adversaires venu pour détailler son opposant ? Probable, mais je ne le croyais pas.
Le pire, durant cette demi-heure qui s’écoula trop lentement à mon goût, ce fut ces yeux incisifs, noirs comme du charbon, qui me détaillaient sans cesse. Et toujours ce petit sourire en coin, agaçant au possible. Quelque chose, dans sa posture, dans sa façon de pencher légèrement la tête de côté pour me regarder, la finesse et le délié de ses doigts, quelque chose me fit penser à un mage. J’ai d’ordinaire d’un bon instinct et je m’y fiais. Si il était Mage, aucune chance de me retrouver en face de lui. Le public réclamait du spectacle, dans ce genre de divertissement. Du suspens, de quoi parier. Mais un combat Mage/Non-mage, c’était couru d’avance. Donc il ne devait pas être là pour ça. Ce qui était d’autant moins rassurant, parce que je n’avais aucune idée de qui il pouvait bien être. Je n’avais jamais entendu parler d’un mage aux côtés du Pacha. Et plus je l’observais, plus je devenais certain qu’il en était un.
Puis la poignée de la porte tourna en faisant un déclic qui arracha mon regard au magnétisme du sien, et le Pacha pénétra dans la pièce. Je me demandais chaque fois comment il devait voir derrière ce voile rouge d’Ifquah. Et si sa drogue lui permettait de me sonder mentalement. Sans doute. Le gros bonze me dédia un grand sourire.
- Alors tu as pris du bon temps, Sphinx ? Étaient-elles à ton goût ?
Je cherchais une répartie mordante, mais n’en trouvais aucune qui le garderait de bonne humeur. Je préférais me taire.
- Comment ? Je n’ai même pas encore cherché à te tuer et tu m’en veux déjà ?
- J’anticipe…
- Très drôle. Je vois que tu as fais la connaissance de Kabel…
Je tiquais. Un maelstrom d’émotions m’engloutit soudain, et je luttais le temps d’une seconde pour ne pas y céder. Le Pacha m’observait du coin de l‘œil. Il savait bien à quoi s’attendre en me révélant ce prénom si proche de celui de Kebel, et s’amusait de ma détresse. Je jetais un coup d’œil à ce Kabel, et vis sur son visage un air étonné. Je me repris. De nos jours ce genre de prénom n’est pas rare. J’allais devoir m’y faire.
Je reportais mon attention sur le gros lard en feignant l’impassibilité. Qu’il me donne donc ces directives, que je puisse me battre. Je n’ai jamais été très diplomate, et j’extériorise souvent mieux par la violence que par les mots. Ses tentatives de joute verbale ne m’intéressaient pas. Il dut le comprendre et s’assit, tout en me faisant signe de prendre place.
- Bien. Commençons. Le principe de l’Arène est très simple, et je pense que tu dois te rappeler mieux que nous les règles du jeu, non ?
Aïe. Il venait de m’envoyer son deuxième coup, droit dans l’estomac. Je sursautais avant de me dire que sa drogue lui permettait donc bien de me sonder. Je n’y pouvais rien. Mais désormais, j’étais plus vulnérable que jamais. S’il lui prenait la fantaisie de clamer devant tout le monde qu’il détenait un de ces fameux Time Travellers, jamais il ne me laisserait partir. Tout bénef’ pour lui. Ce n’était pas un tel drame, mais je tenais à ma liberté. Je le fixais intensément, attendant qu’il continue. Il ne me ferait pas réagir comme ça. Tout comme ce Kabel n’avais pas pu me faire parler le premier. Je possédais une dose d’entêtement considérable, ça m’avait souvent sauvé la vie. J’allais m’en servir autant que possible.
Voyant que je ne disais toujours rien, il continua à pérorer, m’expliquant les règles de l’arène.
- Trois combats, un vainqueur. Tu seras tout en bas et les spectateurs tout en haut. N’espère pas en amocher un ou deux par vengeance, je protège mes clients. Bien évidemment, chaque adversaire sera plus fort que le précédent. Ils peuvent être de n’importe quelle nature suivant nos stocks et la demande, mais je te réserve un traitement spécial pour le dernier. Mon cher ami ici présent (il posa sa main sur l’épaule de regard-d’aigle, et, inexplicablement, ce me fut comme une profanation, le fait que cette main grasse couverte de sang se pose sur cette épaule déliée) est là pour nous offrir le meilleur spectacle depuis bien longtemps. Je ne sous-estimerais pas tes capacités intellectuelles, je crois que tu as deviné. Tâche de rester en vie jusque là, ou je serais déçu. Tu ne seras pas prévenu à l’avance de ce que tu affronteras. Pas d’armes, sauf si les règles d’un combat le précisent. Ne t’inquiète pas, tu auras tout ce qu’il faut. Mais nous n’avons pas d’armes à feu, le combat doit tout de même durer un minimum. Ils doivent en avoir pour leur argent, je ne peux pas me permettre de spolier une si fidèle clientèle. J’ai donc pris sur moi de faire désactiver le laser qu’il y a dans ton bras factice pendant ton sommeil tout à l’heure. Pour la durée des deux premiers combats uniquement. Nous te laisserons ce petit avantage pour le troisième, tu risques d’en avoir besoin.
« Je crois que c’est tout » ajouta-t-il enfin en commençant à se détourner pour partir.
Je l’arrêtais d’un geste.
- Hé, et les infos ?
- Comment ça ? Il fronçait les sourcils, perplexe.
- Si je dois mourir pour ces putains d’infos, j’aimerais au moins les connaître avant !
- Oh ! Non, désolé. Si je te le dis maintenant, tu ne seras pas assez concentré, et tu vas mourir trop vite. Pense plutôt au combat. A tout à l’heure !
La porte se referma sur son ton léger, me laissant bouche bée comme un poisson hors de l’eau. Je sentais une sorte de trou noir dans mes intestins. Il me réservait un traitement spécial, avait-il dit. Un démon, et pas des moindres, si j’avais bien compris. Mais il faut avant tout que je vous explique.
Un démon, c’est une créature qu’un sorcier, ou un mage, comme vous voudrez l’appeler, incarne dans un corps. C’est assez compliqué. C’est plus comme une alchimie que comme une invocation. Le démon ne se matérialise pas directement du néant. Il n’a pas de forme prédéfinie. C’est plus une sorte de golem. Le mage qui « invoque » un démon transmet en fait une image mentale, que lui ou son employeur auront créée, à une certaine masse de mana. Il modèle ce mana, le sculpte, et l’introduit finalement dans un volume de matière, au choix de l’invocateur. Démon de béton, de poussière, de chair, de bois, c’est au choix. Les démons constitués d’air ou de feu ou d’un autre éléments sont souvent utilisés comme familiers, et appelés des Elémentals. Le plus recherché et le plus cher reste le démon de chair, car il prend beaucoup plus d’initiatives que ses congénères, et nécessite son volume en chair (vivante de préférence) pour sa création. En introduisant ce mana modelé, qui n’est autre en fin de compte que l’âme du démon, le sorcier doit garder un lien avec sa créature. Ou bien le transférer à une autre personne, ce qui en fait un familier.
Le démon ne vit que grâce à l’énergie, le flux de mana qui circule jusqu’à lui à travers son hôte. Il est incapable de s’ouvrir au mana s’il est autonome. C’est pour la même raison qu’un non-mage (un « fermé ») ne pourra jamais avoir de familier ou de démon qui lui est lié, car il ne sait pas s’ouvrir au flux de mana.
Un démon classique ne peut être autonome, la matière dont il est constitué redevient inanimée si on tue celui ou celle à qui il est lié, ou si un autre sorcier réussi à trancher ce lien. Les démons de chairs forment une exception, au grand désarroi des mages qui ne comprennent pas pourquoi. Certains d’entre eux survivent et réfléchissent seuls, ce qui les rend bien plus dangereux, car ils n’ont aucune espèce d’empathie avec la race humaine à compter du moment où leur lien est coupé. Surtout ceux modelés à partir de chair vivante, et encore plus si il a nécessité des sacrifices humains.
Ce qui ne veut pas dire qu’un démon encore lié à son « hôte » soit dépourvu de toute capacité de réflexion. Ils accomplissent sans problème des tâches simples, peuvent faire des rapports, voire même tuer en silence, faire le guet, et autres.... mais petit à petit, ils s’imprègnent des émotions de leur maître. Il a été démontré qu’un démon acquiert au bout d’un certain temps une personnalité propre, une conscience individuelle. L’acquéreur peut lui choisir un nom, ou le démon s’en choisir un lui-même. Il peut même finir par s’attacher émotionnellement à son hôte (ou par le haïr). Ces démons entrent dans une classe supérieure, et sont plus dangereux pour leur maître. C’est peut-être un sur un million, mais parfois un démon peut apprendre seul à s’ouvrir au mana, et rompre son lien seul. Ensuite, tout dépend de la personnalité qu’il a acquit auprès de son hôte. Mais c’est un phénomène plus que rare. Il n’y a que très peu de cas recensés de démons qui se soient rebellés contre leur maître, ils savent très bien que cela signifie leur fin. Et, aussi étrange que ça puisse paraître, on peut donc bien les qualifier de « réels » ou de « vivants », car ils redoutent la mort.
Parfois un mage extrêmement puissant peut lier un démon à lui-même, c'est-à-dire laisser ouvert l’esprit de l’entité vers le mana, et lui donner ainsi une autonomie parfaite en toute conscience. Créer la vie à partir de rien, voilà qui à passionné des générations de mages et de savants. Cependant c’est un risque à ne pas prendre à la légère, car les démons n’ont pas les mêmes ressentis que les humains, surtout les juste-nés. Cinq des mages les plus puissants ont péri ainsi au cours de l’histoire de Culla. Un seul a survécu, juste le temps de mettre en garde la première personne qu’il a vue. Eh oui, le seul souci avec un démon, c’est qu’il est imperméable à toute forme de magie. Peu pratique quand votre créature devient incontrôlable et que vous n’avez que des sorts pour vous défendre.
C’est pour toutes ces raisons que je me mettais à transpirer. Et puis, vu que la forme du démon, son anatomie, ses capacités, tout provient de l’imagination humaine, on peut facilement atteindre des sommets en matière d’horreur, l’histoire ne l’a que trop prouvé. Je redoutais de me retrouver devant une grosse bestiole bien dégueulasse, du genre qui à cinq ou six pattes, trois gueules pleines de dents et qui crache des boules d’acide… Après avoir fait un tour dans la salle de sport pour m’échauffer un peu, je me mis à astiquer et huiler ce bras mort qui me servirait d’arme si besoin est. Je n’avais nul besoin qu’il soit un soupçon plus lent parce qu’il était grippé.


Je n’ai pas dû rester seul très longtemps. On m’a envoyé le même mastoc qu’au départ. Il m’a amené jusqu’à l’ascenseur, et m’a encore fait descendre de plusieurs étages. Je me demandais bien pourquoi. Une arène est censée être en plein air, non ? Puis j’ai commencé à réfléchir. Bien sûr, rien de tout ça n’était légal. Le Pacha était bien au-dessus de lois mais il se devait de respecter au moins l’apparence de la civilité. Un tel espace au vu et au su de tout le monde était impensable. L’ascenseur s’est arrêté, et les portes ouvertes ont dévoilé un paysage qui confirmait mon hypothèse. En plus d’être très riche, le Pacha n’était pas con.
Le mastoc a posé sa main dans mon dos et donné une impulsion. J’ai fait deux ou trois pas et j’ai entendu les portes de l’ascenseur se refermer derrière moi. Bâtie sur le même principe que Kehl, l’arène n’était qu’une gigantesque caverne, éclairée d’un petit soleil factice. Sa chaleur, cependant, était bien réelle, et un vent chaud me souffla le sable de la piste à la figure.
Je me trouvais dans un immense cirque romain, aux dimensions ahurissantes. Rien que l’arène dans laquelle j’étais faisait plus de trois cent mètres de long sur quatre-vingt de large. Ses gradins très hauts placés pouvaient sans doute contenir plus de cent mille visiteurs, et ils étaient presque remplis. Il ne collait pas tout à fait aux souvenirs que j’avais des cirques romains d’antan, mais je suppose qu’il l’avait fait sur mesure. Je tentais d’estimer le coût d’une telle entreprise et renonçais rapidement devant le nombre de zéros accumulés.
J’eus à peine le temps de me faire ces observations qu’une véritable tempête de bruit salua mon arrivée, ainsi qu’une pluie de papiers, billets, fleurs ou culottes tombés des gradins. La foule trépignait et hurlait. Je me sentis brusquement dans la peau d’un petit insecte qu’un millier de doigts aurait aimé écraser. Désagréable sensation s’il en est.
Je m’avançais sous le bruit et la chaleur, les oreilles comme ouatées. Hormis les raclements de mes talons dans le sable, les sons étaient comme assourdis, irréels. La peur que j’avais réussis à tenir à l’écart jusque là me saisi lentement, m’étreignant un peu plus fort à chaque pas qui me rapprochait du centre. Maintenant s’en était fini des divagations et des hypothèses douteuses. Quoi que puisse cacher la porte en face de moi, il me faudrait le vaincre, et celui d’après, et celui d’encore après.
Je crois que j’avais dans une certaine mesure volontairement bannie toute réflexion consciente. Je trouvais grotesque de risquer ma vie pour de simples infos. Mon orgueil m’avait mené jusqu’ici, là où nul demi-tour n’est possible. C’était comme si deux moi tenaient conversation tranquillement pendant que mon corps se dirigeait vers son destin. L’un ricanais de ma stupidité, l’autre me soufflait que si je ne le faisais pas, que pourrais-je faire d’autre ? Je n’appartenais pas à cette époque. Mon mode de pensée, j’avais eut le temps de m’en rendre compte, ne collait pas avec celui de mes actuels contemporains. Et puis ce n’était rien d’autre que l’histoire de ma vie qui se répétait. Condamné à se battre chaque fois pour survivre ? Un peu fataliste à mon goût, mais ça avait tendance à se vérifier. De toute façon je ne pouvais plus reculer.
La main fraîche d’une jeune fille sur mon bras m’a fait sursauter, me tirant de mes oiseuses réflexions. Pas plus de douze ans, sans doute et la mine paumée d’une junkie en manque. Maigrichonne, habillée d’une tunique de lin rouge qui descendait à mi-cuisse, elle m’a fait un sourire vide et m’a tendu une serviette humide et fraîche. Je me suis essuyé le visage. J’ai eu l’impression de franchir un pallier de décompression. Le monde autour de moi à fait « pop » en reprenant sa place.
- Qui es-tu ? Ais-je fait en la lui rendant.
Elle a haussé les épaules sans répondre. Elle souriait toujours.
- Comment tu t’appelles ?
- Mad ! Sa réponse a fusé, légère. Peut-être son nom n’était-il pas un hasard. Elle paraissait un peu attardée, mais son sourire était celui d’un ange.
- Moi c’est Sphinx.
Elle a esquissé une petite révérence avant de gambader loin de moi, toujours sans répondre. Une porte s’est ouverte pour elle sur le mur au centre de l’arène, et elle a disparu. Curieuse présence dans un endroit pareil, et j’avais peur de deviner son utilité.
J’ai jeté un coup d’œil autour de moi. Des tâches brunâtres dans la poussière attestaient des combats précédents. Deux ou trois os ici et là, certains marqués par des dents. Je refusais de savoir à qui ou à quoi ils avaient appartenu. Je tâchais de trouver des avantages à utiliser. Le sable qui nous piquerait les yeux et la chaleur seraient des inconvénients aussi bien pour mon adversaire que pour moi. Mon bras bionique ferait une bien meilleure massue que ces os rongés. Le mur d’enceinte présenterait une protection à un dos vulnérable, mais lequel ?
Je distinguais sur le sol un cercle géant de transmutation, teint dans le sable. Pour les démons à invoquer, sans doute. Je frottais une ligne du pied, mais il refusa de s’effacer. Foutue magie.
J’ai encore été tiré de mes réflexions, mais cette fois par la voix du Pacha qui retentissait dans le cirque. Le bruit incessant de la foule a explosé de volume, et je me suis mis les mains sur les oreilles. Je pense que personne n’a pu comprendre les premiers mots du Pacha, mais tout le monde s’en foutait. J’ai sentis quand à moi mes muscles se crisper, et ma mâchoire se contracter. Je ne prêtais qu’une attention toute relative à ses péroraisons. Je fixais l’ouverture en face de moi. Au-dessus, très loin, la voix parlait de mes mensurations, mes actes de bravoures, mes batailles. Je ne m’étonnais même plus qu’il en sache autant. Le Pacha était officiellement devenu un homme exécré par mes soins. Si un jour j’avais l’occasion, je le tuerais. Pure anticipation qui s’ajoutait à mon antipathie naturelle pour lui.
Il parla des prix, des paris, des cottes. Puis du fait que nulle arme n’était autorisée pour ce combat. Et enfin il en vint au fait qui m’intéressait, le seul. L’adversaire. Mon cerveau ne me fournissait plus la moindre supputation, et j’attendais simplement de savoir ce que j’affronterais.
Je fus un peu surpris d’apprendre que ce serait un humain. Une femme, plus exactement. La précédente championne qui était parvenue au bout des trois combats. Il l’appela « l’Amazone ». Apparemment c’était son nom de guerre. Le public hurla et trépigna, mais il était là pour ça. L’attente se prolongea encore un peu, le temps que tous les paris soient enregistrés. Puis le silence tomba sans que quiconque fit quoi que ce soit, et ce fut un signal.

La porte s’ouvrit enfin, et une silhouette gracile s’avança d’un pas décidé. Je profitais de son approche pour la détailler. Des cheveux blonds sales retenus serrés sous son masque de cuir qui lui couvrait le visage. Des trous pour les yeux, et une simple résille au niveau de la bouche qui lui permettait de respirer. Je pouvais deviner un nez assez long et des yeux d’aciers frangés de cils bruns. En guise de vêtement et d’armure elle portait une tenue de cuir brun qui la moulait en dévoilant trop de peau. Pas très efficace, si très joli. Des jambes longues et musclées, des bras forts aux biceps bien dessinés. Elle était plutôt large d’épaules, et avait de petits seins hauts placés. Puissante, élancée. Je l’aurais bien vu combattre au fouet, ou autre chose du genre. Sans doute mes fantasmes masculins qui reprenaient le dessus.
Elle me détaillait autant que moi, et releva le menton en geste de défi quand son regard rencontra le mien. Elle se plaça à mes côtés au centre du cercle magique et se tourna vers la foule en brandissant le bras. Un geste de victoire, de champion qui joue à domicile, réclamant les applaudissements de ses fans. Le vacarme redevint assourdissant un bref instant, puis l’attention générale se fixa vers le bout de l’arène, la tribune où était installé le Pacha. En guise de panneau apparu une illusion, sans doute générée par ce Kabel. Un décompte de chiffres commençant à dix s’inscrit dans les airs.
J’amorçais un mouvement de recul quand je m’aperçus que l’Amazone y avait pensé avant moi. Elle dessinait déjà lentement un cercle autour de moi, ses yeux allant de moi au compte à rebours. Des yeux de prédateurs. Je ne comptais pas la sous-estimer ni lui faire le moindre cadeau. Les tendances misogynes du style « ne jamais frapper de femme », ça va bien 5 minutes, mais de nos jours c’est parfait pour mourir jeune.
Je me mis en mouvement, tournant avec elle. La foule scandait les chiffres qui défilaient. Quatre. Ses muscles roulèrent sous sa peau cuivrée. Trois. Elle s’accéléra. J’en fis autant. Deux. Ses mains formèrent des pattes de tigre. Elle maîtrisait les arts martiaux, donc. Un. Ses yeux se plissèrent à cause d’une rafale de sable envoyée par le vent artificiel. Zéro.
Un éclair fuse. Je sens un marteau percuter mon épaule que j’ai placée en bouclier comme les boxeurs. C’est son pied, suivi par son poing qui me frôle la tempe. Déséquilibré, je m’éloigne un peu. Elle m’observe. Rapide comme un serpent qui mord, la garce. Plus rapide que moi, sans aucun doute, et je ne suis pas lambin. Ce qui me laisse mon expérience et ma force. Deux pas et la voilà qui me bouscule en se replaçant loin de moi. Mais elle n’a pas parié sur le bon cheval. Je suis lourd mais pas pataud. J’accompagne et me retourne dans le même mouvement, lançant au hasard une manchette qui se perd dans l’air chaud. Je n’escomptais pas la toucher, mais lui faire croire que je vais lui offrir des ouvertures en répondant à l’aveuglette. Elle marche à fond et se rapproche un peu, profitant de l’allonge de ses jambes de pouliche pour me tester. Haut, bas, droite, bas, haut, je pare sans cesse son pied qui frappe sans douceur. Coup de pied sauté, que j’esquive en me rapprochant. Peut-être maîtrise-t-elle moins l’art des coups de poings ? J’en reçois un dans les côtes qui me détrompe vite avant de lui asséner un coup de coude dans la poitrine. Elle tombe au sol et roule sur elle-même, preste comme un chat, avant de se relever. Elle se masse le plexus. Je ne peux voir son visage, mais je l’entends respirer avec peine. Je sens vaguement ma hanche, qui, tout juste guérie, me rappelle qu’il faut que je la protège. A croire qu’elle lit dans mes pensées, la garce, parce qu’un vicieux coup de talon vole droit vers ma hanche. Au prix d’une ridicule pirouette, je me déplace et saisi sa jambe tendue. Pas de pitié. Je l’abats violemment du même geste sur mon genou relevé, au niveau du mollet. Son cri accompagne sa chute, mais elle boîte à peine quand elle me fait de nouveau face, la seconde d’après. En colère, la jolie chatte feule en se jetant sur moi. J’encaisse deux ou trois gnons au visage, et un bon coup d’ongle vers les yeux. Je relève le menton au dernier instant, évitant l’aveuglement pur et simple, mais elle accroche ma narine, qu’elle déchire un peu. Je m’électrise, et le cri qui jaillit de ma poitrine est autant rage que douleur. Mon poing percute son menton. J’aperçois le blanc de son œil tandis qu’elle recule. Une ou deux mèches de cheveux s’échappent. Je note. C’est toujours une prise utile.
Plus circonspecte à présent, elle se remet à tourner autour de moi. Elle feinte vers la gauche et profite de ma bêtise pour m’envoyer une poignée de sable dans les yeux, suivie de son front dans mes gencives. Son genou cherche mon entrejambe, mais je me dérobe en me laissant tomber, complètement au jugé, sur le bout de ses orteils. Pas très glorieux, mais bon. Je saigne d’un peu partout au visage. Ma lèvre éclatée par son coup de boule, mon nez arraché par ses ongles, ainsi que les multiples bleus qui décorent mon bras valide avec lequel j’ai dû parer trois ou quatre fois. Je me frotte les yeux. Tout est un peu brouillé, et je cligne comme pas permis. Elle en profite, mais, par miracle, j’arrive à sentir son coup venir et esquive une fois de plus. Cette fois ma rotation du torse est accompagnée d’un direct dans l’estomac. Tandis qu’elle recule une fois de plus, je calcule mes chances. Je ne peux pas la laisser prendre son temps. Elle est plus rapide, et vicieuse. Pas novice, non plus, dans l’art de la baston. Il me faut une ouverture, ou elle m’aura à l’usure. Mon uppercut au menton a été effectué avec mon bras normal. Si je peux lui placer le même avec l’autre, rideau sur la scène pour la damoiselle. Reste à trouver un moyen. Mais elle est vachtement rusée. Je tente.
Feinte et attaque haute du poing qu’elle esquive parfaitement, renvoyant un coup de genoux vers les côtes. Je me plie en deux pour amortir l’impact, et saisi sa jambe, saisi ma chance. Mon autre main, la fausse, vole vers sa gorge à laquelle elle s’agrippe. Plaquée contre moi, l’Amazone suffoque. Elle se débat, ses hanches collées aux miennes. Ses yeux me transpercent de colère. Je la porte maintenant à bout de bras. Nous dansons enlacés, et je reçois des coups que je ne sens même plus, trop heureux de serrer voluptueusement sa gorge fine. Je ne la lâcherai pas. Dans ma tête, je suis le matou qui ricane devant la petite souris qui couine entre ses griffes. Mord, souriceau, mord. « Je te tiens ! » Ses jambes enserrent ma taille, et ses mains accrochées à mon bras griffent frénétiquement la peau synthétique.
Entre la colère, la rage, la douleur et l’excitation qui me portent, je ne distingue plus la différence entre combat et sexe, lorsque brutalement son corps s’arque contre le mien. Tout à ma folie guerrière, j’enfouis sauvagement mon visage entre ses seins tandis qu’elle suffoque.
Puis je me recule. Je ne la tiens plus que par la gorge, et ses yeux révulsés n’ont plus rien d’un prédateur. Le combat est fini. Brusquement maître de moi, j’effectue la torsion du poignet qui lui brise le cou, et ses mains retombent lentement. Je corps s’affaisse en tas quand elle tombe sur le sol, et un coup de poing sonore me fait vaciller. De nouveau ce pallier de décompression. Comme si mes oreilles se débouchaient brusquement, j’entends un tonnerre de voix, de cris, d’acclamations et de huées qui m’assomme. Tout est un peu trop net, un peu trop brillant, comme chaque fois que je sors de cet état berserk dans lequel me plongent tous les combats. Plus rien ne reste de mon sauvage plaisir de tuer. Plus rien qu’un grand vide où tout résonne.

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Message par Kyle Eyrhills Dim 27 Mar - 18:20

je veux tout de toi Razz
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Message par Louve Lun 28 Mar - 14:32

CHAPITRE 7




Mad a déboulé vers moi avec une mine toute affolée, ses cheveux noirs coupés cours qui auréolaient sa tête. Elle était si comique et mignonne à la fois que je n’ai pu m’empêcher de sourire. Cruelle erreur, a crié ma lèvre amochée. Toute affolée, elle s’est mise à pépier tout autour de moi. Sa main tenait une bouteille d’eau et la serviette, l’autre un flacon de cicgel. Elle n’a même pas accordé  un regard au corps de l’Amazone à nos pieds. Elle m’aimait bien, faut croire. Tout en lui disant de se calmer, je lui ai pris le tout et me suis rincé au mieux avant de me pulvériser de cicgel. Du superficiel, mais je me sentais moulu. Ç’avait été plus rapide que je ne l’espérais. Malgré que je ne les aie pas sentis, ses derniers gnons devaient faire mal quand même. Je ne m’appesantis pas sur sa vie, qui elle avait été. Elle était loin d’être ma première victime, et j’avais depuis longtemps dépassé le stade de la culpabilité.
Une fois certain que le sang n’empêcherai pas le cicgel de faire son travail, j’ai rendu tout ça à Mad, et lui ai dit de s’en aller. Elle boudait un peu, et aurait manifestement préféré rester près de moi, mais je lui fis une caresse sur la tête avant de la pousser au loin. D’après ses regards, elle était triste et fâchée. Innocente petite bourrique.
Au-dessus de moi le public hurlait toujours. Je me sentais étrangement dissocié de ce monde qui me surplombait. Je me trouvais dans un cul de basse fosse, et je vaincrai ou mourrai. Ce credo primitif, ce leitmotiv que je me répétais désormais. « Gagne ou meurs ».
J’attendis, seul au milieu de l’arène, que les parieurs empochent leurs gains, ou paient leurs dettes. La chaleur m’opprimait, et je songeais que le Pacha avait dû faire en sorte que le soleil soit si près. D’habitude des enchantements très simples permettent de réguler la chaleur. Je le haïssais, ce bourreau qui avait en un jour fait de ma vie un enfer. J’avais du mal à croire que la veille encore j’avais passé quelques instants dans les bras d’Enne. L’idée même de cet îlot, cet oasis de tendresse, détonait dans mes pensées. Mon esprit ne put s’y fixer. Ou peut-être ne le voulait-il pas ?
Le Pacha parla de nouveau, pour annoncer le prochain combat et ses règles. Ce coup-ci, il y mettait du suspens. Il les tenait en haleine. Et moi aussi, me rendis-je compte.
Dès qu’il prononça les mots « armes autorisées », ce fut comme un signal. Comme si tout le monde n’attendait que ça depuis le début. Il y eut une clameur, puis une course d’esquive pour ma vie. Il pleuvait des armes. Partout les spectateurs se ruaient sur le bord des gradins pour jeter dans l’arène les armes qu’ils avaient amené. Certains semblaient me viser, et je me demandais si il n’y avait pas un pari d’engagé là-dessus aussi. Je vis de tout, et du n’importe quoi. Un sabre d’officier me manqua de peu, et un couteau en plastique rebondit sur mon crâne. Une cannette de métal s’écrasa à mes pieds. Une machette et un couteau suisse atterrirent à un mètre en se percutant, et rebondirent fort heureusement loin de moi. Je vis des couvercles de poubelles, sans doute des boucliers, des fléaux, masses d’armes, lances, piques et hallebardes se déverser du ciel. Des morceaux de métal affûtés, un kukri. Un petit plaisantin à qui j’aurais bien appris un peu l’humour avait lancé un rouleau de papier hygiénique. Un autre un bouquet de fleurs de plastique. Une épée bâtarde moyenâgeuse qui devait couper comme une pelle, mais semblait très lourde, se planta dans le sol à moins de deux mètres. Bref, une pluie d’objets tranchants et contondants, que je tentais d’éviter avec plus ou moins de succès, mais sans dommage. Je me mis à haïr tout aussi viscéralement le public que je haïssais le Pacha alors que jusque là je n’avais ressentis que mépris et indifférence.
Quand la ruée fut passée, le gros lard reprit la parole, tout frétillant et fier de lui, pour nous annoncer un combat extraordinaire, du jamais vu, disait-il. A cet effet il fit monter dans sa tribune la dresseuse de mon prochain adversaire. Du peu que je pouvais distinguer d’aussi loin, elle avait l’air massive et revêche. Sa voix grinçante nous expliqua combien il avait été difficile de se procurer ce spécimen, et à quel point elle était fière d’avoir été choisie pour assurer son entraînement. Quand à moi je grinçais des dents. Si j’avais peur de deviner, j’avais surtout peur pour moi.
Après un interminable discours, il décida de nous laisser voir par nous-même. Je remarquais que le cadavre de l’Amazone n’avait pas été enlevé. Un obstacle de plus à rajouter à la topographie du terrain.
Enfin, la porte en face de moi s’ouvrit de nouveau.
Elancée, la silhouette avait une démarche étrange, non humaine, et pourtant bipède. Je n’avais encore jamais vu un maintien qui exprime à ce point le mépris, le défi et l’orgueil. Une longue queue se balançait à chaque pas derrière lui. Je n’avais pas besoin d’en voir plus pour confirmer ce que j’avais deviné. Cet enfoiré de gros lard de merde avait, par je ne sais quel miracle, réussi à dénicher un Temsé, et à le garder secret.
Je regardais avec inquiétude ses longues jambes très musclées de vélociraptor, terminées par des griffes assorties, capables d’éventrer n’importe qui en un coup. Ses avant-bras musclés étaient recouverts de ces plaques d’écailles dures comme du fer communes à tous leur mâles. Je distinguais, au fur et à mesure qu’il se rapprochait, ses étranges traits à la fois humanoïdes et reptiliens. Il avait un visage anguleux, pour un Temsé.
Se écailles étaient d’un bronze soutenu, luisantes au soleil. Ses lèvres à peine dessinées dévoilaient ses dents pointues, petites et acérées. Il darda sa langue bifide en roulant ses yeux étranges dans ma direction. Des bracelets de cuivre teintaient à ses jambes. Sur ses épaules se dessinaient des arabesques, une sorte de tatouage, comme une gravure dans ses écailles. Idem sur ses avants bras, mais là les dessins étaient plus carrés, plus géométriques. Pour parachever le tableau, une fine crête à présent hérissée du rouge de l’hostilité se gonflait tout le long de sa colonne jusque sur le haut de son crâne.
Je me sentais tout nu, recouvert de mon pauvre épiderme pâle. Il était véritablement impressionnant, mais le pire c’était cette air si supérieur, si méprisant. J’oscillais entre la colère de me voir ainsi négligé, et l’admiration pour son immuable fierté. J’avais piteuse allure, à côté.
Si l’Amazone avait déchaîné les foules, sa seule vue à lui suffit à mettre le cirque entier en ébullition. Le bruit se répercuta dans l’immense caverne. Je me sentis devenir gaulois, et priais pour ne pas me recevoir le ciel sur la tête. Lui était impassible, statue de bronze miroitant au soleil, et ne semblait rien entendre de ce brouhaha d’enfer.
Il fallu au public bien plus de temps pour se calmer, ce coup-ci. Les paris allaient bon train. Je ne distinguais que de vagues points qui se précipitaient de droite à gauche vers les ouvreuses qui récoltaient l’argent. Mon futur adversaire, lui, regardait avec un œil critique les armes qui gisaient un peu partout sur le sol. Il s’éloigna de quelques pas et ramassa un Morgenstern de fer rouillé. L’enfoiré. S’ils sont gracieux et fins, les Temsés ont des muscles d’acier, et une vitesse de pointe de près de soixante, soixante-dix kilomètres/heure. Je n’avais aucune chance, avec une simple lame, de parer plus d’une ou deux fois une telle arme. Il avait dû suivre le même raisonnement, parce qu’il m’a dédié un sourire plutôt méchant, du style anticipation de massacre. Très déplaisant, ça aussi. Autant j’aurais pu avoir des scrupules à le tuer froidement, autant il était facile maintenant de se mettre en colère.
Je cherchais moi aussi une arme susceptible d’être utile, ou même un bouclier. Je trouvais un volet de bois, et une espèce de casque qui suffirait à éviter que mon crâne ne joue les pastèques explosives au moindre choc. Plus loin je vis une sorte de sabre en forme de boomerang qui me paraissait un poil plus aiguisé que le reste, et m’en emparais. J’étais prêt. Nonobstant le ridicule de ma tenue, il posa des yeux calculateurs sur moi, toujours avec cet air de mépris. Au moins avais-je de la chance qu’il ne soit pas un Soldat. Honnêtement, il n’avait pas besoin d’un atout supplémentaire.
Soudain le rêve que j’avais fait durant mes accès de fièvre me revint en mémoire. Mon rêve de dragon. Je puisais dans la vision des yeux de cette femme reptile qui me regardaient, pleins d’amour et de compassion, une rage de vivre incroyable. Je ne comprenais pas pourquoi. Je n’avais jamais eu d’autres relations avec les Temsés que les combats, et la mort. Je savais que nombres d’entre eux n’étaient pas plus belliqueux que nous, et que le commerce entre nos deux peuples marchait bien. Cependant je n’avais pas été engagé par Kebel afin de troquer. Mon rayon à moi c’était la baston. Puis je pensait à Enne, et fronçais les sourcils en réalisant que je tirais moins de force de ce souvenir tangible que de mon rêve surréaliste.
Je me secouais quand le Pacha reprit la parole. Il était heureux comme tout, il avait réussi à produire son petit effet. Je pouvais presque sentir sa voix frétiller de joie et d’impatience tandis qu’il donnait les mêmes directives qu’au combat précédent. Pas de limite de temps, et pas de pitié. Le compte à rebours s’inscrit de nouveau dans les airs au-dessus de sa tribune, et j’oubliais tout le reste pour me concentrer sur la machine de guerre immobile qui me regardait. J’avais au moins un avantage, je connaissais l’art martial bien spécifique des Temsés, et savais y répondre, ce qu’il ignorait sans doute.
C’est une discipline vraiment étrange, puisqu’en grande partie basée sur la puissance de leur jambe, la rapidité de leur appendice caudal et la dureté de leurs écailles. Elle est gratuitement enseignée à tous leurs enfants sur les places des villes et des villages, mâles comme femelles. Les Temsés ont développé une philosophie guerrière et une religion en harmonie avec leur environnement et leur esprit. C’est plus comme la voix du guerrier nippone, qui est un art de vivre autant qu’un art de tuer.
Il ne fit pas un mouvement tandis que les chiffres décroissaient dans les airs. Peut-être attendait-il que je prenne l’initiative d’attaquer, mais je ne comptais pas lui faire ce plaisir. Quand à moi, je me choisis un poste qui me permettrai une retraite rapide vers le mur, qui protégerait mes arrières. Comme précédemment, le public scanda les chiffres en chœur, et je n’eus pas à vérifier où nous en étions. Après le « zéro », le silence tomba comme une chape de plomb. Nous étions tous deux immobiles comme des statues, se jaugeant du regard. Quand il se décida à bouger, ce fut nonchalamment, pour faire un moulinet de sa massue et se replacer en garde. Il m’attend.
Je ne fais pas un mouvement, avec la satisfaction mesquine de le voir s’étonner, ne serait-ce qu’un peu. Pas folle, la guêpe. Je connais cette position. Si j’approche maintenant, je vais me manger sa queue par un côté et ses griffes par l’autre. Plus le morgenstern sur la tête, et rideau. Je peux parer deux coups, pas trois. Quand à les esquiver, c’est compter sans leur rapidité.
Il se ramasse soudain sur lui-même et bondit vers moi, me décochant un coup de ses avant-bras. J’esquive en roulant au sol, mais je ne suis pas assez rapide et récolte un coup de queue qui me fait rouler à trois mètres.
Je me relève prestement, mais pas tout a faits assez. Juste le temps de lever mon pauvre bouclier, et la boule de piquants du morgenstern se plante dedans. J’ai tout le bras qui résonne, mais je taille à l’horizontale de mon sabre étrange. La pointe de ma lame griffe les écailles de son torse alors qu’il bondit en arrière pour esquiver, et je suis le mouvement, me relevant d’une détente des jambes à sa poursuite. Je lance une pique droit vers la peau plus fragile de son estomac, qu’il esquive également en virevoltant sur lui-même ; mais je connais bien le truc et saute en l’air au moment ou sa queue fonce vers mes chevilles. Ce que je n’ai pas prévu, c’est les griffes de son pied qui s’enfoncent dans mon dos alors qu’il m’attrape en plein vol après sa pirouette et me propulse au loin d’un magistral coup de pied.
J’amortis le choc en roulant sur moi-même et me retourne, prêt à tout. Mais il n’a pas bougé, et m’observe de ses yeux plissés. Sa langue frétille dans les airs, paraissant goûter le sable qui vole. J’essuie la sueur qui me dégouline dans les yeux.
A un peu plus de cinq mètres, il se ramasse sur lui-même et plante ses puissantes griffes rétractiles dans le sol. De la main, il me fait un signe d’invite. Ses écailles couvertes de poussières ont perdu de leur brillant. Je m’approche avec circonspection. J’ai beau chercher des failles dans sa défense, je n’en vois pas. Avec un cri je m’élance, lame brandie pour tailler de haut en bas. Seule une crispation de ses paupières répond à ma charge. Au dernier moment, alors qu’il s’élance de côté pour une esquive, ce n’est pas ma lame que j’abats, mais mon piteux bouclier ; droit sur le côté de son crâne. Comme il n’a pas suspecté la feinte, il n’a pas le temps de réagir et roule au sol, les yeux un peu vitreux. Eh oui, moi aussi je cogne fort. Non mais.
Mais pas le temps de s’endormir sur ses lauriers, puisque toujours au sol il lance vers moi un de ses pieds, toutes griffes dehors. Je n’ai que le temps d’interposer ma lame, autour de laquelle se replient les griffes. D’un mouvement puissant, je vois voler au loin mon arme, arrachée de ma main. J’ai au moins la satisfaction de le voir boiter un peu. Il s’est entaillé le pied en faisant ça. Sans doute avait-il prévu que je parerais avec le bouclier.
C’est un gros bonus pour moi, puisque le sable de l’Arène va pénétrer dans sa blessure et lui ôter une bonne partie de son assise au sol, et de sa vitesse de course. Cependant, le sang que je sens couler le long de mon dos m’indique que je ne dois pas le sous-estimer. Et je n’ai plus que ce morceau de bois qui commence déjà à branler un peu après deux coups. Tout en le surveillant, je cherche des yeux une épée à ramasser. Non loin traîne une espèce de poignard long, avec une lame de bronze. Pas à pas je m’en rapproche, mais il a remarqué mon manège et passe à l’attaque, jetant au loin son morgenstern avec un sourire féroce. Grâce aux détentes de ses jambes, il effectue autour de moi des tours, des sauts, ponctués de coups de poings qui sonnent sur le bois, ou sur ma chair quand je ne pare pas assez vite. Je reçois sans douceur deux ou trois coups sur les épaules et sur le dos. Il me déstabilise, à tourner sans cesse autour de moi. Je l’aperçois vaguement, mouvement flou ponctué d’un coup dans les côtes qui me plie en deux. Pile à l’endroit où l’Amazone a tapé. J’espère ne pas me casser de côte, ou le troisième combat sera le dernier.
Un mouvement à droite. J’interpose le bouclier. J’entends ses griffes racler le sol derrière moi. D’instinct je me plie en deux et vois du coin de l’œil passer son coude là où s’était trouvée ma nuque. Si le coup avait porté, j’étais mort. Raclement à gauche. Je roule au sol. Sa queue balaye l’air au-dessus de moi. Sa main me saisi alors que je me relève, et un poing écailleux fonce vers moi. Juste le temps de lever mon bout de volet. Ce qui devait arriver arrive. Trop sollicité, mon minable bouclier vole en éclat. Me voila nu et désarmé face à lui, seulement protégé de mon casque ridicule.
Nous nous faisons face, à près de deux mètres l’un de l’autre. Un sourire mauvais étire ses lèvres fines, et dévoile ses petites dents brillantes. Il m’énerve. Je l’insulte. Il se marre ouvertement, de ce rire sifflant qu’ils ont. Il faut que je trouve un moyen de l’handicaper. Dans l’état actuel des choses, je n’ai pas une chance. C’est ça mon gros problème, quand je me bat à mains nues. J’ai l’expérience, et la technique, mais aucun don naturel pour améliorer la chose. Je suis rapide, par entraînement, mais je ne possède pas cette souplesse et cette fluidité qu’avait l’Amazone. Ni les atouts naturels du Temsé en face de moi. Mes combats doivent être rapides, et expéditifs. Je suis trop lourd et trop lent pour danser comme eux. Par contre je suis bien plus polyvalent, ce qui est un avantage, aussi minime soit-il. Mon seul problème, c’est qu’avec son entraînement au combat humain, mon adversaire m’ôte tous mes moyens. Il joue avec moi. Voilà bien longtemps qu’il aurait pu m’achever, mais on a dû lui dire de faire durer le spectacle. Et bien moi je m’en fous. Le plus vite ce sera fait, le mieux ce sera.
J’arrache mon casque inutile, et me frotte les yeux. Je sue comme un cochon, entre chaleur, peur et exercice. Je sens dans mes veines l’adrénaline qui coule à flot, comme chaque fois. Il m’observe sans rien dire. Un instant je songe à engager la conversation, mais j’y renonce. Pas besoin de parlotte, je suis là pour le tuer. Ou être tué par lui, ce qui devient une option de plus en plus plausible à mesure que le temps passe, et que mon sang s’écoule de mes multiples blessures, rouvertes avec l’effort. Ma narine et ma lèvre dégoulinent sur mon menton, et mon tee-shirt est poisseux contre mon dos. Mais je ne ressens aucune douleur, seulement cette folie berserk.
Sans le quitter des yeux, j’amorce ce mouvement tournant autour de lui, piétinant les armes qui décorent le sol. Mon pied rencontre un obstacle mou, et je baisse les yeux ; le corps de l’Amazone, qui gît toujours en tas. Temps étiré. Un raclement sur le sable. Il s’est mis en mouvement et fonce vers moi, profitant de mon inattention, si brève soit-elle. J’entends le bruit de sa course. Mes yeux remontent, remontent. Il arrive comme un boulet de canon, et son épaule qui percute ma poitrine vide tout l’air de mes poumons. Comme si j’ouvrais brusquement les yeux, tout reprend sa vitesse normale. Il m’effectue un plaquage dans le plus pur style du rugby. Efficace. Je sens sous mon dos un manche de je-ne-sais-quoi s’enfoncer dans une de mes plaies et crie de douleur.
Emporté par son élan, il roule un peu plus loin mais reviens à la charge presque à quatre pattes, sa queue se balançant derrière lui. Ses yeux luisent d’un éclat terrifiant. Il est rapide. Trop rapide. Je crois que c’est la première fois que l’aiguillon de la peur arrive à m’atteindre en pleine rage de combat.
Alors que j’inspire encore cet air qui s’est brusquement raréfié, j’encaisse en plein visage un coup qui m’éclate l’autre côté de la lèvre. Oh, les jolies étoiles !
Je papillonne, cherche ma respiration. Toujours allongé sur le sol, je distingue sa silhouette debout à contre-jour, et le regard qu’il plonge vers moi. Du dédain pur. Et je distingue plus que tout du coin de l’œil son pied, et plus exactement ses griffes impressionnantes qui luisent comme du métal malgré la poussière. Et qui se rapprochent de ma gorge, inexorablement. La panique me saisi. Dans une contorsion que je ne comprends pas et ne cherche pas à comprendre, je réussi à me mettre hors de portée pour l’instant, et me relève le plus vite possible.
Nous nous remettons à tourner l’un autour de l’autre, tous les sens en éveil. Je me masse le plexus. Une douleur sourde monte de mon ventre, et le sang de mes lèvres éclatées inonde ma bouche. Je crache sur le sol une giclée rouge qui imbibe le sable sec. Je cherche du regard, frénétiquement, une porte de sortie. Un moyen, une échappatoire. Je me fais laminer, à petit feu, et j’en ai bien conscience.

Je regarde les lames autour de moi, les piques, les objets tranchants ou pointus, ou même les masses d’armes qui ne sont en fin de compte que des culs-de-sac. Impossible de le toucher avec un fléau ou une masse, il est bien trop rapide. Les lames ne sont efficaces que si j’atteins une partie sensible. Là encore, sa rapidité m’en empêche. Reste les piques, éventuellement, mais c’est une histoire de chance autant que de précision.
A peine y ais-je pensé que je me rue sur la plus proche, près de trois mètres plus loin, sur ma gauche.
Je l’ai surpris. Il se met en mouvement pour me barrer la route, mais juste un peu trop tard. Ma main se referme sur l’arme au moment ou ses griffes se plantent dans le sable à côté de moi. Au lieu de me redresser, je m’assois en me laissant tomber et relève la pointe de la lance à toute vitesse vers son ventre. Dernière chance. S’il m’attrape maintenant, il m’égorge.
Je vois dans une lenteur infinie cette pointe qui n’en fini pas de monter, ses yeux sans pupille qui s’écarquillent, et ce mouvement de biais qu’il amorce pour l’éviter. Mais il est trop emporté par l’élan de sa course, et il le sait. Au bout d’un siècle, la pointe se fiche enfin dans sa chair, trouvant le chemin entre deux écailles de sa hanche. Il pousse un sifflement de douleur, et tombe sur le côté, les mains agrippées au bout de bois qui dépasse de lui-même. Je profite du fait qu’il soit concentré sur sa douleur pour lui envoyer, bien placé, un direct juste sur la tempe. Leurs os sont plus solides que les nôtres, mais j’ai frappé de mon poing de métal, et il ne se relève pas.
Je me redresse dans la chaleur et rejette la tête en arrière, offrant mon visage au faux soleil qui m’inonde. Je n’ai pas besoin de vérifier s’il est bien mort, j’ai entendu le craquement de ses os au moment du coup. J’ai gagné ce combat-ci aussi. Miraculeusement. Moi-même j’ai un peu de mal à y croire. La pensée du prochain combat me fait gémir.

Je réalisais alors qu’aucune ovation n’était venue saluer cette victoire. C’est lorsque j’ai rouvert les yeux et me suis tourné vers la tribune du Pacha que l’explosion de bruit s’est produite. Ils étaient hystériques, même si je savais que beaucoup avaient dû parier sur le Temsé, en espérant le voir un peu plus longtemps. On n’avait pas ce genre d’occasions si souvent. Au lieu de lever les deux poings en signe de victoire, j’ai souri du mieux possible vu ma tronche, et ai lentement levé deux majeurs en direction du public. Ça n’a fait que les exciter davantage, entre huées et cris d’admirations. Ils me dégoûtaient.
J’ai attendu ma petite Mad qui viendrait compatir sur ma gueule cassée, mais au lieu de ça j’ai eu droit à un discours du Pacha, qui me félicitait pour ma jolie victoire. Ce à quoi j’ai répondu d’un autre doigt d’honneur, accompagné d’un crachat de sang dans sa direction. Son petit rire froid et supérieur s’est répercuté dans l’Arène. Les gens ont ri aussi. Il devait y avoir une caméra qui retransmettait des gros plans au public, sans doute sur de petits écrans individuels.
L’enfoiré à continué en disant qu’avant le dernier combat, j’allais avoir droit à être chouchouté par une des « belles dames » de l’assistance. Sans doute était-ce elle qui avait payé le plus cher pour se voir offrir le plaisir de me regarder de près. J’étais un peu déçu. Dans cet endroit où chaque personne présente désirait ma mort, la petite Mad était une gorgée d’eau pure.
Je m’attendais à ce qu’une vieille peau en manque me pelote ; j’en fus pour mes frais. La femme qui apparu ondula gracieusement de ses hanches rondes dans ma direction, l’air d’une reine d’apparat. Elle avait un visage sévère, mais doux et un regard décidé. Les pommettes hautes, un nez un peu fort, mais pas trop. Son sourire dévoila des dents blanches et régulières. Une lionne en chasse. Des lèvres rouges et pulpeuses, un décolleté plongeant et une taille fine. Sa jolie robe de soie rouge moulait délicieusement toutes ces formes, sans paraître accrocher le sable. Ses cheveux noir corbeau se relevaient en chignon sur une nuque gracieuse. Ses mains fines tenaient une cruche de verre remplie d’eau, une serviette et le flacon de cicgel. Curieux comme dans ses mains c’était une parure, et dans celles de Mad de simples objets. Je me demandais ce qu’elle pouvait bien me vouloir. Je ne la devinais pas assez superficielle pour vouloir simplement me voir de près, vu le prix que le Pacha avait dû réclamer. Voulait-elle m’intégrer à son harem ? Ce ne serait pas la première proposition de ce genre qu’on me ferait. J’essayais de garder un air distant, avec l’envie de jouer le loup de Tex Avery. Aouuuuuuuu !
Elle s’approcha de moi avec un demi-sourire, amusée de me voir circonspect. Sa voix était grave, un peu rauque, quand elle me demanda malicieusement :
- Ne me dites pas que je vous fais peur ?
- Vous êtes belle comme un serpent, et riche comme crésus, dis-je en désignant les lourds bijoux qui paraient son cou, ses doigts et ses poignets. Pourquoi ne me méfierais-je pas ? Au cas où vous ne l’auriez pas vu, ce n’est pas une soirée banale pour tout le monde.
Je ne pus m’empêcher d’être un poil grinçant sur les derniers mots. Toujours cette vieille rancœur. Mais elle se contenta d’un rire cristallin et feutré à la fois. Un rire de femme mondaine. Elle humidifia la serviette et commença à nettoyer mon visage. Je me laissais faire sans bouger. Elle avait les mains sûres.
- Comment vous appelez-vous ?
Je ne pus m’empêcher de ricaner.
- Vous venez voir quelqu’un mourir sans même vous soucier de connaître son nom ?
- Je vous le demande maintenant. Croyez-vous que j’aurais dépensé cet argent si je ne me souciais pas de vous ?
- Que vous importe la dépense ? Ce pourrait être un caprice d’enfant gâtée. Vous ne seriez certes pas la première.
J’eus la satisfaction de voir son œil s’éclairer de colère. C’est avec une voix agacée qu’elle répondit.
- Vous ais-je donné la moindre raison d’être désagréable ?
- Oh, vous voulez dire comme venir me voir mourir parce que vous vous ennuyez ? Gaspiller votre argent dans des plaisirs pervers au lieu de compatir et faire œuvre de charité ? En ce qui me concerne, même exister est un crime, pour vous. Vous voyez, si j’étais d’une mauvaise foi pathologique, je dirai que toutes ces raisons sont plutôt pas mal.
Son ironie répondit à la mienne.
- Voyez-vous ça, un humaniste dans l’Arène ! Pourtant je ne vous ai pas vu si ému d’avoir tué deux personnes. Je dirai même que l’exécution de l’Amazone était plutôt froide, et dénotait d’un certain entraînement. Je me trompe ? Alors ne jouez pas les moralistes.
Touché. Je ne répondis pas. Ses mains continuaient de me soigner, et je dois avouer que c’était du travail bien fait. Elle me retourna sans ménagement et releva mon tee-shirt pour soigner les quatre profonds sillons qu’avaient tracées les griffes du Temsé. Elle eut un sifflement d’admiration en les découvrant, et je tressailli au contact de l’eau froide quand elle commença à nettoyer le sang.
- Alors qu’est-ce que vous me voulez ? Repris-je en serrant les dents. Je suppose que ce n’est pas le plaisir de me débarbouiller qui va vous satisfaire, non ?
- Non, vous avez raison. Disons que à ma manière, je sais faire œuvre de charité. Et vous m’intéressez.
- Et qu’est-ce que ça signifie ?
- Que si vous survivez à cette soirée, j’ai une proposition à vous faire.
Elle me retourna de nouveau face à elle pour soigner mes avant-bras, griffés par l’Amazone. Je plongeais mes yeux dans les siens, et étrangement elle ne se déroba pas.
- Je ne suis pas gigolo, lui dis-je tout net. Elle répondit par un éclat de rire et pencha sa tête de côté en me regardant, songeuse. Je me sentis stupide.
- Vous avez des yeux étonnants ! Mais rassurez-vous, ajouta-t-elle en redevenant sérieuse. Mon offre est d’une autre nature. Vous n’aurez qu’à passer me voir… si vous survivez. Peut-être même que je pourrais vous faire une offre plus…charnelle, qui sait ? Dès que vous aurez de nouveau un visage à la place de ce steak.
Sa main plongea dans son décolleté et en sortit une carte de visite. Elle me la glissa dans la poche avec un clin d’œil. Puis avec un sourire elle passa la main derrière ma nuque m’embrassa. Elle avait un léger goût de miel. Je sentis une érection me gagner, et m’éloignais un peu pour ne pas qu’elle le remarque. Elle me mordilla sadiquement la lèvre inférieure et rit de nouveau comme je portais ma main à ma bouche en grimaçant. Quand je relevais les yeux, elle partait déjà, de cette démarche ondulante qui rend tous les hommes fous.
Sacrée donzelle.
Je remarquais qu’au bout du compte, je ne lui avais pas dit mon nom. Je sortis la carte de ma poche en y mettant un peu de sang. Juste une adresse, à Harregan. Une société. Pas de nom. Qui pouvait donc être cette femme mystère ? Avant que je puisse réfléchir plus avant à sa « proposition », Mad arriva en courant. Elle boudait un peu. Sans doute avait-elle vu la femme m’embrasser, et était jalouse. Mais elle se remit à pépier d’un air affolé quand elle découvrit ma tête. Elle tourna autour de moi, poussant des gémissements affolés à chaque nouvelle tâche de sang qu’elle voyait sur mes vêtements. Elle avait dans les mains trois pilules colorées. Deux vertes et une rouge. Je l’attrapais par un bras et lui désignais les cachets d’un air interrogateur. Elle s’illumina et me colla les deux vertes dans la bouche, en me faisant de grands signes pour que j’avale, mais je les recrachais.
- Qu’est-ce que c’est ?
Elle sembla réfléchir intensément avant de dire :
- Vitamines !
- Vitamines, ok. Et l’autre ? Le rouge ?
- pour douleurs. Anolg…anilgézak ?
- Analgésiques. Antalgiques, dis-je en souriant.
Elle répondit d’un sourire rayonnant. Je la serrais un peu contre moi. C’était la première fois que je ressentais un élan plus ou moins paternel. Petite chipie. Si je pouvais la sauver, je le ferai. Mais j’en doutais. Elle s’agrippa à ma taille de ses petits bras frêles, frottant son visage contre ma poitrine. J’eus envie de la mettre en garde contre ce genre d’attitude. Tout le monde n’est pas aussi scrupuleux que moi quand à l’âge de ses partenaires ou leur santé mentale. Mais elle aurait sans doute oublié aussitôt. Je la repoussais au loin et lui fit signe de s’en aller. Elle refusa tout d’abord, secouant la tête, puis reprit cette mine boudeuse et partit en se retournant tous les trois mètres.
Quand elle fut partie je considérais les pilules, et jetais la rouge sur le sable. Je préférais encore avoir mal que me retrouver somnolent devant le démon que j’allais avoir à combattre. Je gobais les deux vertes. Vitamines à effet rapide, sans doute.
A vrai dire, je ne croyais absolument pas en mes chances pour cette dernière épreuve. J’avais eu de la veine avec le Temsé, et avais supplanté l’Amazone seulement grâce à ma force et mon entêtement. Mais je n’avais pas la moindre idée de la stratégie à adopter face à un démon. Je regrettais que Simo ne soit pas là, j’aurais pu lui demander.
Je me demandais à quoi lui et Yoko pouvaient passer leur temps en m’attendant. Si je ne survivais pas, ils viendraient me chercher et s’énerveraient sans doute. Et c’était signer leur arrêt de mort. Je ris. Je devais survivre pour eux aussi. Pour Kebel et Camÿe. Et pour moi-même, réalisais-je. Parce que aussi pourrie que soit ma vie, aussi nulles que soient mes options d’avenir, je tenais à cette chienne de vie. Dans les ghettos de mon enfance, où tout était noir et s’annonçait pire dans le futur, j’avais tenu grâce à cet entêtement, cette obstination à vouloir vivre. Et si elle s’était estompée avec le temps, je la découvrais aujourd’hui bien présente, et plus vivace que jamais.
Un raclement de pas à mes côtés me tira de mes réflexions. Je levais les yeux au ciel. Décidément j’aurais dû me prendre un agenda. Ce n’était plus une Arène, mais un forum de discussions. Je me retournais vers l’arrivant. Les arrivants, rectifiais-je dans ma tête. J’eus la surprise de voir que le Pacha s’était déplacé en personne, et avait amené son magicien avec lui. Sa voix toujours amplifiée par le micro qu’il portait résonna dans la caverne.
- Ne me regardez pas avec cet air surpris, mon cher. Il nous faut vous rendre votre arme, l’aviez-vous oublié ?
A vrai dire, oui. J’avais complètement zappé cette information. Effectivement je me sentirais mieux avec un laser. Je pourrais au pire du pire me suicider avec si je n’avais pas d’autre choix. Toujours mieux que d’être grignoté vivant par une sale bête.
Kabel s’approcha de moi et fit silencieusement quelques gestes au-dessus de mon bras. Quand il eut fini, je relevais le petit clapet de peau synthétique, toute abîmée par les ongles de la belle Amazone, et tapais les codes d’activation sur le clavier intégré. La voix mécanique égrena dans mon crâne les caractéristiques et leur état actuel. Tout allait bien. Même les armes secondaires fonctionnaient. Je doutais cependant qu’une fléchette paralysante ou empoisonnée ait le moindre effet sur un démon. Il faut un système sanguin à atteindre, pour ça.
Je n’avais pas grand choix. Pour vaincre il me faudrait situer l’endroit où le magicien aurait concentré l’âme, le mana de la créature, et le détruire. C’était le seul moyen de vaincre un démon sans désactiver son lien avec son maître. Et il n’y avait pas d’endroit prédéfini, puisque les démons n’avaient pas de forme prédéfinie. Ce serait de la pure devinette. Il pouvait aussi bien le placer dans un orteil que dans une tête ou une poitrine, tout dépendait du démon qu’il invoquerait, et à quel point il était retors. Comme le Pacha supervisait, je me doutais que la vacherie serait de la partie.
Je gardais volontairement un silence obstiné. Pourquoi restaient-ils ici ? Puis en voyant le Pacha faire un signe et Kabel se diriger vers le centre du cercle de transmutation, je compris. Où pouvait-il créer son démon sinon là ?
Un autre geste du Pacha fit ouvrir la porte à deux personnes masquées d’un tissu blanc et habillées de même. Hommes ou femmes, je n’aurait su le dire.
Si je me demandais de quelle matière serait ce démon, ils répondirent à ma question en se précipitant sur les corps de l’Amazone et du Temsé. Ils les portèrent au centre du cercle et se retirèrent avec des révérences obséquieuses en direction du pacha. Le magicien fit un petit tour de terrain et ramassa les plus longues lames qu’il avait pu trouver. Il les jeta sur les corps et se retourna vers le Pacha, attendant d’un œil morne le signal du départ.
Je sifflais entre mes dents, à l’amusement du gros lard qui me jeta un coup d’œil. Transmutation multiple. Mon adversaire serait composé de plusieurs matières. Il était assez rare qu’un mage soit suffisamment puissant pour pouvoir modeler le mana de deux façons différentes en même temps et accorder l’un à l’autre. Par exemple, un démon de métal nécessite une énergie en résonance avec sa matière, comme ceux de verre, d’air, de chair ou autres. Pouvoir modeler les deux et les concilier était un acte assez incroyable. En théorie, c’était tout à fait faisable, mais cela demandait une concentration à toute épreuve, et une discipline mentale de fer. Plus le temps passait, plus j’éprouvais de respect devant les capacités de ce Kabel.
Je sentis comme un poids sur mes épaules, et relevait la tête. Comme des Dieux dans l’Olympe, le public s’était massé au bord des gradins et retenait son souffle, observant attentivement tous les gestes du magicien. Ce brusque silence pesant me mis mal à l’aise. Je reportais mon regard sur Kabel.
Il dû y avoir un signal que je vis pas car le magicien commença son œuvre.
Il ferma les yeux et écarta les bras. Il n’y avait rien de visible, mais je sentis tous les poils de mon corps se hérisser. Les vitamines ? J’en doutais. Des crépitements secs se firent entendre. Dans ce silence lourd ils me parurent résonner à l’infini.
Les deux cadavres et les lames se mirent à léviter doucement et à tourner. De plus en plus vite, soulevant un maelström de poussière. Je ne sais ce qu’il avait déclenché, mais soudain une boule de lumière apparu au centre de ce tourbillon et se mit à grossir, englobant petit à petit tous les objets jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer qu’un autre soleil, blanc celui-ci, au-dessus du centre du cercle de transmutation. Curieusement cette vive lumière ne me blessait pas les yeux. Je jetais un coup d’œil au magicien, et le vis transpirer sous l’effort, les yeux toujours fermés, et l’air calme. Seuls ses bras étaient agités d’un tremblement spasmodique.
Au bout de deux minutes, ou peut-être une éternité, il commença insensiblement à refermer les bras. Encore un peu. Et encore un peu. La lumière réduisait au fur et à mesure. Je pus bientôt distinguer les contours d’une forme humanoïde en lévitation, baignée de clarté mais toujours immobile.
Enfin il rejoignit brusquement ses deux mains en un claquement, et tout s’arrêta. La forme retomba au sol, mais accroupie. Vivante. Je sentis un frisson glacé me parcourir l’échine. C’était la première fois que j’assistais à la création d’un démon. Simo avait toujours tenté de trouver une autre solution, et avait toujours réussi. Je savais qu’il excellait à cette discipline, l’invocation, mais il y répugnait. Je crois que je pouvais comprendre pourquoi.
Pour moi qui venais d’un monde où même la magie simple et courante était impensable, assister à un tel spectacle était un bouleversement. Comment ne pas être impressionné, terrifié, même, devant la capacité à créer la vie à partir de rien ? Pour moi qui n’avais pas grandi avec la banalité d’un tel acte, ça relevait de l’onirisme. Ou du cauchemar.
La poussière retomba peu à peu, et le magicien ouvrit les yeux. Sa créature les ouvrit également avec un parfait synchronisme. Je la détaillais, oscillant entre fascination et malaise. Je ne savais pas comment il avait fait, et ne tenais pas à le savoir.
La …chose se redressa lentement, semblant éprouver les contours de ce corps. La créature était indéniablement féminine. Le visage découvert de l’Amazone apparut. Elle avait un visage magnifique, et je me demandais pourquoi elle l’avait masqué.
Une poitrine apparaissait sous la peau d’écaille, et des jambes humaines, élancées, terminées par des pieds aux griffes rétractiles se déplacèrent un peu. La queue du Temsé se balançait derrière elle, terminée par une des lames les plus effilées, tandis que la créature portait un regard circulaire sur tout ce qui l’entourait. Ses yeux de glace morte se posèrent sur son créateur et s’y fixèrent. Ses longs doigts se terminaient tous par une lame, courte ou longue. Une pointe dépassait également de son front, la base noyée par les cheveux détachés de l’Amazone. Elle découvrit des dents de Temsés, peut-être un peu trop longues, quand elle passa sa langue humaine sur ses lèvres pulpeuses.
Je savais que les démons nouveaux-nés ne possédaient pas encore l’usage de la parole, mais ils apprenaient vite. Celui-ci ne faisait pas exception à la règle. Il regardait Kabel avec un air d’attente polie. Ce dernier lui rendait son regard avec une fermeté inouï. Son épuisement était visible. Il était trop pâle, et de grosses gouttes de sueur roulaient sur son front. Je suppose qu’il avait dû garder le lien avec lui, car sinon le regard du démon se serait porté sur le Pacha. Tant qu’il gardait ce lien, le démon était à ses ordres, et d’une loyauté à toute épreuve tant qu’il n’aurait pas appris à penser par lui-même.
Ses jambes cédèrent soudain, et son démon le rattrapa avec toute la délicatesse possible vu ses mains couvertes de lames tranchantes. Ce fut comme un signal, et le public explosa en ovations et en cris.
Tandis que les deux mêmes personnes habillées de blanc venaient soutenir le magicien et l’emmener, le Pacha fit un geste apaisant de ses mains boudinées. Son visage de bonze souriant et plissé se tourna vers moi. Je m’attendais à une réflexion sarcastique, ou autre chose du même genre, mais il se contenta d’un clin d’œil avant de suivre le cortège.
La porte se referma derrière eux et je me retrouvais seul dans ma cage ensablée, seul avec une chose qui n’était ni tout à fait vivante, ni tout à fait consciente encore, et qui était née pour me tuer, moi. Un autre frisson secoua ma carcasse. Foutue magie.

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Message par Louve Lun 28 Mar - 16:14

https://drive.google.com/file/d/0B41cR3VRwuDGSHJaTzBTZm80WjQ/view?usp=sharing   le lein vers l'intégrale, mais il n'esdt pas fini, juste deux chapitres de plus, et l'(intro que je vous avait épargnée... maintenant faut que je m'y remette, ce manuscrit à bientot 6 ans ^^
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Message par Invité Lun 28 Mar - 17:19

J'adore toujours autant Very Happy Très bonne idée d'avoir mis ce lien, merci beaucoup!!

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Message par Kyle Eyrhills Lun 28 Mar - 23:20

Yup le drive est une bonne initiative Razz
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Message par Louve Mer 30 Mar - 14:50

PETIT BONUS: YOKO - ALONE


Il fait nuit. C’est une ruelle froide, déserte. Le silence semble avoir gelé en même temps que le reste. Le corps d’un clochard gît, recroquevillé dans un coin. Nulle buée ne sort de ses lèvres. Son cadavre est déjà froid, bien qu’il n’ait trépassé qu’une heure plus tôt. Quelques grattements dût aux rats qui grignotent les poubelles résonnent dans l’air glacé. Peut-être que ce ne sont pas les poubelles qu’ils grignotent, après tout. Comment dit-on déjà ? « Le malheur des uns fait le bonheur des autres. »
La scène vole en éclat quand soudain une silhouette menue et fine tourne dans la ruelle, manquant de déraper sur le macadam verglacé dans sa course effrénée. Elle est rapide. Très. Elle n’est qu’à mi-chemin quand déboule derrière elle une voiture à l’ancienne. Les phares inondent la rue, accrochant la masse de cheveux noirs qui flottent derrière ce qui semble être une petite japonaise à l’air furieux. Un homme aux cheveux en brosse passe le buste par la fenêtre du côté passager et la met en joue avec assurance. La première balle ricoche à ses pieds et, contre toute attente, la fille accélère encore, bien au-delà des capacités de course d’un humain normal, zigzaguant entre les immondices qui jonchent le sol. L’homme pousse un juron et rentre dans la voiture, échangeant quelques propos inintelligible avec le conducteur. Il ressort aussitôt, muni cette fois d’un pistolet au bec large et aplati. Les yeux de la fille s’agrandissent quand elle aperçoit du coin de l’œil l’arme braquée sur elle. Elle est à moins de cinquante mètres de la ruelle qui, perpendiculaire à celle-ci, est beaucoup moins large et pourrait servir ses intérêts. Mais elle sait que ce genre d’arme ne s’esquive pas en zigzaguant. Elle change brusquement de direction et cours sur le mur, sautant à plus de trois mètres de hauteur en moins d’une seconde. Juste à temps. Le chatoiement qui balaye toute la largeur de la ruelle tue immédiatement les quelques rats qui n’avaient pas encore fui, leur cervelle aussi grillée qu’un steak.
Elle sourit en réponse au hurlement de rage du tireur et redescend d’un mouvement souple, atterrissant comme un chat. A peine l’homme à-t-il réarmé l’engin qu’elle à déjà repris sa course, suivie de près par la voiture. Elle bifurque dans l’allée noire et étroite qu’elle à repéré au moment où une autre vague passe derrière elle.
Elle parcours encore une vingtaine de mètres et se retourne, les mains sur les hanches, juste au moment où la voiture déboule, frottant contre les murs, l’aveuglant de ses phares. Elle n’a pas le temps d’apercevoir le visage du tireur, et elle s’en moque. Juste avant que l’engin ne la percute, l’homme tire une troisième fois. La puissante détente de ses jambes la fait passer au-dessus du chatoiement mortel.
Le toit de la voiture s’enfonce lorsqu’elle retombe dessus avec violence, et l’homme en imper pousse un cri de surprise, vite étranglé par une manchette vicieuse qui lui écrase la pomme d’Adam. Il s’effondre, le buste hors de la voiture. Le conducteur, affolé, fait une embardée qui écrase son congénère entre le mur et le véhicule. Un sourire confiant s’épanouit sur le visage délicat de la japonaise. Sa main traverse le toit sans effort apparent et trouve à tâtons la tête du deuxième homme. Ses doigts lui enserrent le crâne comme un étau. Elle lui brise la nuque d’une brusque torsion et saute avant d’atterrir lestement derrière la voiture qui, guidée par les murs de la ruelle étroite, va s’écraser presque doucement sur le mur du fond.
Un brusque silence s’abat sur l’allée, seulement brisé par les claquements du moteur encore chaud de l’épave, et le ruissellement de l’huile qui coule sur la chaussée. La fille semble réfléchir un moment, puis jette un coup d’œil autour d’elle avant de repartir d’une foulée légère et rapide, sans une égratignure. Le seul mot qui sort de sa bouche est : « Amateurs. »




Rodge est un gars tranquille. Si quelqu’un lui posait la question, il répondrait qu’il est presque heureux de son sort. Il tient un troquet minable dans une rue sordide, et ses tables sont en béton, attachées au sol. Une nuit sans rixe est une nuit perdue. De derrière son bar il sait tout mais ne voit rien. Par exemple il sait que les cinq rôdeurs de la table du fond préparent un casse pour dans deux jours, il sait même où, et pour combien. Il sait que le petit homme seul qui dîne en tête à tête avec son rat apprivoisé est un des plus gros receleurs de la ville. Il sait que les deux prostituées super bandantes devant la vitrine blindée n’ont de femmes que l’apparence, et qu’il est rare qu’un de leurs clients réapparaissent. Il sait aussi que l’homme qui vient de passer la porte et qui le salue d’un signe de tête est un flic en civil, infiltré dans un des gangs voisins. Il sait qu’après la chanson qui passe une autre va arriver, et que vu qu’il y a Tritto à un bout de la salle, qui l’adore, et Gada à l’autre bout, qui la déteste, il ferait mieux de ranger les verres qui traînent avant que leur baston ne les casse. Il ne pense pas un instant à changer de musique. Quand ils ont fini de se taper dessus, ces deux-là boivent jusqu’à plus soif, et c’est bon pour les affaires. Il sait encore, pense-t-il avec un soupir, que sur les six assoiffés accoudés au comptoir, deux d’entre eux n’ont pas de quoi payer, et un mourra avant le lendemain. Et, en effet, l’homme qui doit mourir entame son dernier verre, et est soudain pris d’une quinte de toux. En moins d’une minute son teint devient violacé, et il s’effondre, dans l’indifférence générale.
Rodge claque la langue, agacé. Il n’avait pas prévu que le poison serait si violent. Maintenant il va devoir se casser le dos à emmener le cadavre dans la rue. La voix de Gada qui lui crie de baisser cette « putain de musique de merde » le tire de ses réflexions. La voix de Tritto lui répond, et il se replonge dans ses pensées pendant que les deux commencent à se quereller. L’homme qui l’a engagé ne l’a pas prévenu de la violence du produit. Et si, par hasard, une patrouille corporatiste passe dans les parages, un macchabée au pied de son bar pourrait amener quelques questions gênantes sur le tapis. Il baisse les yeux sur les deux abrutis qui roulent sur le sol sale, occupés à se taper dessus, et pousse un profond soupir. Il ne prête pas attention au nouvel arrivant, trop occupé à se morfondre. Ce n’est que quand une main légère se pose sur son bras qu’il relève les yeux et dévoile une dentition effrayante en un sourire presque affectueux.
-Yoko ! S’exclame-t-il. « Ça f’sait un moment qu’on t’avais plus vue dans le coin ! Tu nous snobe, ou quoi ? »
La petite japonaise lui sourit de toutes ses dents avant de répondre :
- J’étais occupée. Boulot, boulot, tu sais ce que c’est… Puis, avec un mouvement de tête vers les deux abrutis : « Ils en sont encore là, ces deux-là ? Vont finir par se marier. »
- Surtout pas, dit ! Ces cons font tourner mon business. Qu’es-ce que tu voulais, Poupée ?
Yoko prend un air embêté.
- J’ai pas une thune, j’avais pas prévu de passer. Tu ferais crédit à une copine ?
- Jamais de crédit, ma belle. La règle d’or. Mais j’ai bien une idée…Ajoute-t-il, saisi d’une brusque inspiration.
- Déballe.
- Tu me sors le macchabée, là, et tu me l’éloignes un peu, et je te fais une bonne bouffe. Si en plus tu peux me séparer ces deux cons, j’t’offre à boire. Ok ?
- Rodge, Rodge… Elle secoue la tête. Encore une sale fin de mois, hein ? Besoin d’argent ?
- Bah, comme tout le monde. Faut bien vivre.
- Allez, ok. Elle attrape le cadavre et, d’une main, le hisse sur son dos. « Mais fait-moi une vraie bouffe, pas une de tes soupes à l’eau pour les clients, rajoute-t-elle. Il pue, ton macchab. »
Elle décoche en passant à Tritto et Gada, toujours occupés à se foutre sur la gueule, quelques coups de pieds vicieux.
« Allez, ça suffit maintenant ! Ça fait trois plombe qu’elle a changé, la musique, bande de boulets ! » Si ils ont un geste pour répondre, ils arrêtent dès qu’ils la reconnaissent et retournent s’asseoir comme des enfants grondés par leur maîtresse. Rodge sourit en les entendant réclamer à boire. Sacré Yoko. D’aussi loin qu’il se souvienne, elle est une des rares à l’avoir toujours considéré comme un être humain. Les autres ne le voient pas, il fait partie des meubles, seul derrière son bar, et sa seule fonction est de remplir les verres vides de son alcool bas de gamme. Il pousse un profond soupir et entreprend de remplir une fois de plus les verres de ses clients. Ah, qu’est-ce qu’elle à pu hanter ses rêves, cette Yoko. Depuis des années qu’il fantasme sur elle, c’est toujours la même histoire. Pour elle, il n’est qu’un copain, un copain de longue date, un peu vicieux et salement moche, un mec qui de temps en temps empoisonne ses clients pour arrondir les fins de mois. Il ne peut pas lui en vouloir.


Louve
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